Droit immobilier

L’inoccupation, l’abandon ou la cessation de l’usage d’un immeuble fait-il perdre, au propriétaire, son droit acquis ?

L’inoccupation, l’abandon ou la cessation de l’usage d’un immeuble fait-il perdre, au propriétaire, son droit acquis ?


1. Le principe de mutabilité et le droit acquis

 

Un Bourgmestre, lorsqu’il est saisi d’une demande d’autorisation de construire, doit avoir égard aux règles urbanistiques communales[1] en vigueur au moment de sa décision.

 

Or, il est fréquent que les règles urbanistiques changent au cours du temps.

 

Ainsi, ce qui était autorisable à un moment donné, ne l’est peut-être plus aujourd’hui, et vice versa. Il s’agit du principe de mutabilité des plans d’urbanisme, lequel est souvent rappelé et non contesté[2].

 

Dans les situations de changement de règlementation, il existe ce que l’on appelle un droit acquis au profit du propriétaire, c’est-à-dire un droit pour celui-ci de maintenir - sous la nouvelle règlementation - une  situation autorisée sous l’ancienne, même si les aménagements ne sont pas conformes aux nouvelles règles en vigueur.

 

Le droit acquis « se limite à pouvoir laisser en place une construction légalement réalisée sous une réglementation antérieure mais ne respectant pas les prescriptions se dégageant d'une réglementation nouvelle »[3].

 

Ainsi, la jurisprudence a très souvent exposé que « En présence d’un bâtiment existant, un propriétaire est en droit de se prévaloir d’un droit acquis en ce sens qu’en cas de changement de la réglementation urbanistique, ce changement réglementaire ne saurait remettre en cause la pérennité matérielle de l’immeuble ayant existé sous l’ancienne réglementation, en ce compris son implantation, ses reculs et son gabarit »[4].

 

Néanmoins, ce droit ne lui permet pas « d’effectuer de nouvelles constructions ou de nouveaux aménagements conformément à l’ancienne réglementation »[5]. Une nouvelle construction, de nouveaux aménagements ou un changement du mode d’affectation devront, pour pouvoir être autorisé, être conformes à la nouvelle législation en vigueur.

 

Par contre, ce droit acquis[6] implique nécessairement un droit à entretenir le bien, à le réparer (jusqu’à quel degré, la situation divise notamment en cas de destruction partielle), à le rénover voire à le transformer, mais en aucun cas de le reconstruire (des situations très malheureuses peuvent alors naître à la suite d’une destruction d’un bien par cas de force majeure[7]).

 

Si l’entretien d’une construction porte peu à discussion – et n’est d’ailleurs en principe pas soumis à permis préalable – il n’en est pas de même en ce qui concerne la rénovation, la réparation ou la transformation d’un bien.

 

 

2. La rénovation, la réparation ou la transformation d’un bien couvert par le droit acquis

 

Des divergences d’interprétation – tant en droit de l’urbanisme, qu’en droit de l’environnement – peuvent surgir quant à l’interprétation de ces notions, lesquelles sont souvent malmenées [8] et ne sont pas définies en droit de l’urbanisme (à l’inverse, la loi sur la protection de l’environnement donne quelques définitions ; ce qui n’empêche pas les divergences de point de vue, et donc les litiges, en la matière).  

 

L’enjeu est de déterminer si – pour des travaux à réaliser – ceux-ci entrent dans le cadre d’un droit acquis, ou non auquel cas ils devront respecter scrupuleusement les dispositions en vigueur.

 

Il a ainsi été jugé qu’« Un projet de transformation par reconstruction majeure dépasse le cadre spécifique d'une rénovation, consistant à remettre à neuf un immeuble vétuste »[9] et ce « indépendamment du fait que la nouvelle construction respecte prétendument l’aspect extérieur de la bâtisse existante »[10].

 

Dans cette hypothèse, s’agissant d'une véritable reconstruction, le projet devait respecter les marges de reculement en vigueur au moment de la décision du Bourgmestre sur la demande de reconstruction.

 

A l’inverse, il a été jugé – dans une affaire spécifique où le projet prévoyait, à titre de modification par rapport à la construction existante jouissant d’un droit acquis, seulement une légère mise en oblique d’un mur latéral non mitoyen –  qu’ « Un ancien garage qui n’a pas été remplacé par une nouvelle construction érigée avec une structuration différente et destinée à une autre affectation, mais a été maintenu dans un gabarit comparable et sert toujours à la même utilisation en tant que garage, n’est pas à considérer comme une construction nouvelle soumise aux prescriptions du règlement sur les bâtisses actuel, mais les travaux relatifs au garage sont à qualifier de transformation d’une construction existante pour laquelle l’administré peut se prévaloir de son droit acquis d’une implantation identique à la limite de propriété »[11]. Dans l’hypothèse où il aurait s’agit d’une destruction-reconstruction des murs, nous sommes d’avis qu’aucun droit acquis n’aurait pu être invoqué.

 

 

3. L’inoccupation, l’abandon ou la cessation de l’usage d’un immeuble

 

La Cour a, récemment[12], eu à trancher dans une affaire particulière où l’immeuble – un bâtiment en seconde position, dont la dernière affectation autorisée (et réalisée, l’immeuble ayant été habité à l’époque) était du logement – était resté inoccupé depuis au moins 20 années.

 

Les demandeurs de permis souhaitent rénover le bien et l’affecter à du logement, sinon à des fins commerciales.

 

Dans ce contexte précis, le Bourgmestre estimait qu’une réaffectation à l’habitation de ce bâtiment aurait constitué un changement d’affectation – tout comme un usage commercial – alors qu’il avait été abandonné près de deux décennies.

 

Constatant que l’affectation d’habitat (pas plus que celle de commerce) n’était plus – suivant les règles en vigueur actuelle – autorisable, le Bourgmestre a ainsi autorisé, de façon assez incohérente, le demandeur de permis à rénover son bâtiment tout en lui interdisant de l’affecter à du logement ou à une exploitation commerciale.  En somme, le bien pouvait donc être rénové, mais plus être utilisé…

 

En première instance, le Tribunal a débouté le requérant en retenant que le demandeur ne pouvait se prévaloir d’un droit acquis « afin de rétablir une situation à laquelle lui-même ou le propriétaire précédent avaient entre-temps renoncé ».

 

Les premiers juges ont donc alors considéré que les propriétaires auraient « renoncé à l’affectation au logement de l’immeuble litigieux » étant donné l’abandon, de sorte qu’ils auraient perdu leur droit acquis au maintien de la situation autorisée par le passé.

 

Saisie d’un appel, la Cour administrative s’est également posé la question de savoir si l’administré avait perdu ce droit acquis par l’abandon ou la cessation de l’usage de l’immeuble, respectivement avait renoncé à l’affectation ou si, au contraire, son droit acquis existait toujours.

 

La Cour a dans ce contexte exposé : « La réponse à cette problématique doit également être appréciée sur la toile de fond des exigences du respect du droit de propriété invoqué par (X), tel que garanti par l’article 1er du Protocole additionnel à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (CEDH) et par l’article 16 de la Constitution, également à la lumière du principe général d’ordre constitutionnel de proportionnalité, le bourgmestre, tout en rendant possible une rénovation au niveau de l’immeuble litigieux, interdisant néanmoins son affectation au logement ou à une exploitation commerciale et risquant de sorte de priver les appelants irrémédiablement de la jouissance de leur immeuble ».

 

Il se dégageait des pièces versées au dossier que l’immeuble ne disposait pas de chauffage et que les installations sanitaires étaient primitives.

 

Par contre, même si la charpente en bois nécessitait des travaux de remise en état, l’immeuble était resté entièrement fonctionnel sous l’aspect de la fonction d’habitat et ne menaçait pas de tomber en ruine.

 

La Cour en conclut que le refus du bourgmestre de permettre une rénovation aux fins de logement de l’immeuble litigieux contrevenait « au principe général d’ordre constitutionnel de la proportionnalité sur toile de fond de la protection du droit de propriété, tel que découlant respectivement de l’article 1er du Protocole additionnel de la CEDH et de l’article 16 de la Constitution, en présence du constat de l’aspect toujours fonctionnel à des fins d’habitation dudit immeuble et des droits acquis de (X) en découlant »[13].

 

L’appréciation du caractère « fonctionnel » ou non risque d’entrainer des divergences de point de vue entre les administrés et les bourgmestres, à l’instar des contentieux en la matière en droit de l’environnement.

 

 

4. En conclusion

 

Un administré n’est pas supposé avoir renoncé à l’affectation de son bien par l’abandon – même plusieurs décennies – de celui-ci.

 

Cette position de la Cour est conforme au principe suivant lequel la « renonciation à un droit ne se présume pas ».

 

Par contre, pour pouvoir faire l’usage d’un droit acquis, il convient que l’immeuble ait gardé un aspect « fonctionnel ».

 

Cette caractéristique est à évaluer au cas par cas, et risque d’entrainer des divergences de point de vue. Cette jurisprudence est donc susceptible de faire l'objet de développements ultérieurs.

 

 

Me Élie DOHOGNE – Avocat à la Cour – Senior Associate

Me Sébastien COUVREUR  - Avocat à la Cour - Partner

 

 

 

 

 



[1] Plan d’aménagement général, plan d’aménagement particulier nouveau quartier ou quartier existant, et règlement sur les bâtisses.

[2] Voir notamment TA, 14-02-01 (11414), confirmé par CA, 27-11-01 (13130C) ; TA, 17-10-07 (22454), confirmé par CA, 13-03-08 (23685C).

[3] CA 3-6-14 (33190C); TA 29-9-14 (33342).

[4] CA 6-8-10 (27178C); CA 3-10-13 (32173C); TA 5-4-17 (37826); TA 3-4- 17 (37670, c. 5-12-17, 39561C), TA 29-6-20.

[5] Ibidem.

[6] Il faut bien évidemment – pour bénéficier d’un droit acquis – que l’immeuble ait été autorisé ou érigé avant toute exigence de permis (en revanche l’inaction de l’administration par rapport à une situation irrégulière ne constitue pas un droit acquis. Les juridictions ont déjà clairement exposé que : « L'illégalité du changement d'affectation et des transformations apportés à un immeuble au mépris des dispositions réglementaires applicables ne saurait être régularisée par le défaut de réaction, même pendant une longue période, par la commune », T.A. 26-3-97 (9558). TA 16-2-04 (16832); TA 27-2-12 (27718).

[7] L’Etude vous renvoie vers un article concernant un projet de  modification de la loi – qui devrait prochainement entrer en vigueur - sur la protection de la nature, afin de permettre justement la reconstruction à des bâtiments démolis, faisant suite aux arrêts CA 10-03-22 (46378C), CA 20-07-22 (47027C) et CA 20-07-22 (47128C). Il n’existe pas pareille disposition en matière d’autorisation de bâtir communale.

[8] Voir notamment les décisions TA 7-4-14 (33960); TA 3-4- 17 (37670, c. 5-12-17, 39561C) où il est utilisé erronément, à notre estime, les termes « rénovation » et « transformation » au lieu de « reconstruction ». Ces décisions exposent : « Dans ce sens, le simple fait de respecter le volume existant de la construction initiale n'empêche pas qu'il s'agit d'une transformation voire de la rénovation d'une construction existante dès lors que suivant les plans soumis au bourgmestre en vue de la délivrance d’un nouveau permis de construire, l’intégralité des murs existants sont remplacés par des nouveaux murs ».

[9] TA 17-12- 08 (24167, c. 19-5-09, 25314C); TA 29-11-10 (26595, c. 5-4-11, 27623C); TA 30-9-13 (30760).

[10] TA 30-9-13 (30760).

[11] CA 2-10-12 (30360C).

[12] CA 25-04-23 (48169C).

[13] Notons que ce critère de fonctionnalité est celui repris expressément dans la loi sur la protection de la nature, lequel défini la rénovation comme : « les travaux consistant à remettre dans un bon état un volume bâti existant fonctionnel et peut comprendre un changement d’équipements vétustes ainsi que la modification des murs intérieurs non porteurs et de la distribution des locaux tout en maintenant l’ensemble des dalles, des murs extérieurs et de la toiture dans leurs dimensions actuelles ». L’appréciation d’un bâtiment toujours fonctionnel ou non.

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