Droit immobilier

Les clauses d’indexation en matière de bail à usage d’habitation

Les clauses d’indexation en matière de bail à usage d’habitation

 

 

L’inflation au Luxembourg, ces derniers mois, a ravivé la tentation pour les propriétaires d’insérer dans leurs contrats de bail, des clauses d’indexation et/ou clauses de valeur.

 

 

Les dernières décisions judiciaires intervenues en matière de bail à usage d’habitation, attestent du fait que les clauses d’indexation sont toujours d’actualité en 2024. Des articles de presse récents, faisaient également état de discussions à ce sujet au sein des commissions des loyers.

 

 

A la suite d’une application des telles adaptations par le bailleur, il arrive que la légalité de ces clauses soient contestées par les locataires aux motifs qu’elles seraient interdites ou violeraient l’article 3 de la loi modifiée du 21 septembre 2006 sur le bail à usage d’habitation.

 

 

Il y a lieu d’étudier la légalité de ces clauses.

 

 

Tout d’abord, faisons un petit rappel, sans rentrer dans les détails des critères de calculs quant à l’augmentation du loyer suivant l’article 3 de la loi modifiée du 21 septembre 2006 sur le bail à usage d’habitation. Selon le prédit article, la location d’un logement à usage d’habitation ne peut rapporter au bailleur un revenu annuel dépassant un taux de 5 % du capital investi dans le logement, dont les critères à prendre en considération dans le calcul de ce capital investi sont détaillés sous les points 2 à 4 du même article.

 

 

Ensuite, le point 5 dudit article précise que le loyer de tout logement à usage d’habitation fixé en vertu des dispositions qui précèdent soit de l’accord des parties, soit par la commission des loyers, soit judiciairement, ne peut faire l’objet d’une adaptation que tous les deux ans. Cette période de deux ans ne prend pas fin par suite d’un changement de bailleur. En revanche, elle prend fin de plein droit s’il y a changement de locataire sans préjudice des dispositions de l’article 13, alinéa 1er.

 

 

Enfin l’article 5-5 de la prédite loi modifiée de 2006 dispose que « Les clauses de valeur conventionnelles qui diffèrent du régime prévu par la présente loi perdront leur effet à partir du premier terme suivant la date d’une réclamation adressée par lettre recommandée au bailleur. Toutes autres stipulations inscrites dans les contrats de bail et destinées à priver d’effet une disposition de la présente loi sont nulles de plein droit. »

 

 

 

 

I. De quoi parle-t-on exactement ?

 

Certains contrats, pas tous les contrats, relatifs à la location à usage d’habitation prévoient une adaptation du loyer soit à la date d’anniversaire de la prise d’effet du contrat soit tous les deux ans, sur base d’une clause d’indexation automatique de l’indice du coût de la vie publié par STATEC.

 

 

Pour illustrer concrètement le contenu d’une telle clause, on peut citer un exemple la suivante :

 

 

 « Le montant du loyer est lié à l'indice des prix à la consommation soit l'indice général raccordé à la base du 1er janvier 1948 publié par le Statec en considérant le chiffre officiel du mois qui précédent la signature du bail comme indice de base.

 

A la date anniversaire du bail, il sera procédé d'office à l'ajustement proportionnel du loyer sur base de l'indice des prix du mois précédent l'échéance annuelle du présent contrat suivant la formule :

 

LOYER DE BASE   X   NOUVEL INDICE 

_____________________________________     =   LOYER AJUSTE/LOYER INDEXE

 INDICE DE BASE

 

En conséquence, la modification dudit indice entraînera automatiquement et sans mise en demeure, une modification proportionnelle du loyer.

 

Ce loyer ajusté ne pourra jamais descendre en dessous du loyer en cours à la date d’adaptation ».

 

 

La jurisprudence considère que ces clauses d’indexation sont des clauses de valeur[1]. La question qui s’impose, donc, est celle de savoir si de telle clause de valeur est valable dans le cadre de la location à usage d’habitation par rapport aux dispositions de l’article 3 de la loi modifiée du 21 septembre 2006 sur le bail à usage d’habitation.

 

 

On ne peut pas répondre à cette question de manière absolue ni par un oui ni par un non. La réponse doit être nuancée, car elle dépend d’un seul critère : le caractère non standard avec confort moderne (anciennement logement de luxe) ou standard des lieux loués avec une exception dans cette dernière hypothèse au vu de la distinction opérée par le législateur.

 

 

 

 

II. L’applicabilité de la clause d’indexation dans le cadre de la location d’un logement avec un confort non standard (logement de luxe).

 

 

Les dispositions de l’article 6[2] de la loi modifiée de 2006 sont claires : cette clause est valable. En effet, le législateur a exclu le principe de l’augmentation du loyer par rapport au 5% du capital investi et la limite de deux ans en ce qu’il précise que les articles 3 à 5 ne s’appliquent pas au logement avec confort moderne, non standard à condition de respecter, d’une part, les critères légaux que doivent remplir ces logements, et d’autre part, que le contrat de bail doit contenir une clause stipulant clairement qu’il s’agit d’un des logements visés au présent article et qu’il n’est pas soumis aux articles 3 à 5.

 

 

De fait, dans le cadre d’une telle location avec confort moderne non standard, le contrat de bail peut prévoir une adaptation de loyer sur base d’une clause d’indexation y compris une indexation annuelle.

 

 

III. L’applicabilité de la clause d’indexation dans le cadre des locations des logements avec confort standard.

 

 

1) Partons des termes précis de l’article 5-5 de la loi modifiée précitée. En effet, sous le prédit article, il est énoncé que « Les clauses de valeur conventionnelles qui diffèrent du régime prévu par la présente loi perdront leur effet à partir du premier terme suivant la date d’une réclamation adressée par lettre recommandée au bailleur.

 

 

Toutes autres stipulations inscrites dans les contrats de bail et destinées à priver d’effet une disposition de la présente loi sont nulles de plein droit. ».

 

 

A partir de ces dispositions légales, nous pouvons relever que la loi fait une distinction entre les clauses de valeur conventionnelles et toutes autres clauses. Cette distinction ressort de la formulation du texte légal.

 

Nous avons, ainsi, deux hypothèses bien distinctes :

 

 

-les clauses de valeur conventionnelles

 

et,

 

-toutes autres clauses relatives à des hausses de loyer (comme par exemple : une augmentation de loyer de XXX € par an ou tous les deux ans ou encore augmentation de XXX€ en cas de réalisation de travaux par le bailleur).

 

 

Les clauses de valeur conventionnelles ne sont donc pas donc à confondre avec toutes autres clauses relatives à des hausses de loyer car elles n’ont pas les mêmes effets juridiques. Les clauses de valeur conventionnelles perdent leur effet à partir du premier terme suivant la date d’une réclamation adressée au bailleur par le preneur alors que toutes autres clauses sont nulles de plein droit.

 

 

2) La clause de valeur conventionnelle n’est pas nulle de plein droit.

 

 

Pour que la clause de valeur conventionnelle perde son effet, il faut qu’une contestation par écrit soit formulée par le preneur via lettre recommandée adressée au bailleur. L’effet de cette contestation prendra effet qu’à partir du mois suivant la lettre de réclamation.

 

 

Ainsi, un contrat de bail peut contenir une clause d’indexation. Mais à partir de l’application de l’indexation, trois situations peuvent se présenter au bailleur :

 

 

-soit le preneur accepte de payer ou paie le loyer ainsi indexé, l’adaptation du loyer est valable.

 

--soit le preneur conteste la demande de loyer indexé, alors la clause de valeur perdra son effet à partir du mois suivant sa réclamation. Le bailleur ne peut plus réclamer l’exécution du loyer indexé.

 

-soit le preneur a payé les loyers indexés et demande rétroactivement le remboursement des différentiels des loyers payés. C’est trop tard pour le preneur. Car, la contestation du preneur n’a d’effet que pour l’avenir. Une décision d’instance d’appel a confirmé la fin de la date de prise d’effet de la convention en ce qu’elle a retenu que « Ce n’est donc qu’à partir du moment où le locataire manifeste clairement son intention de contester la validité de la clause illicite du contrat que la nullité de la clause afférente ne pourra commencer à avoir d’effet. » [3].

 

 

Or, nous pouvons constater que certaines décisions intervenues en matière de bail à usage d’habitation font un amalgame au niveau des clauses. Elles n’opèrent pas point de distinction en retenant d’office toute interdiction de clause d’indexation sur base de l’article 5-5 de la prédite loi de 2006[4], sans rechercher si c’est un appartement de confort non standard ou non, d’une part, et d’autre part, sans opérer une distinction entre la clause d’indexation avec toutes autres clauses afin d’aboutir aux effets juridiques de la clause.

 

 

Pour terminer sur la validité de la clause d’indexation, il y a lieu de souligner qu’une telle clause est valable en matière de bail commercial[5] et de professionnel.

 

 

Me Sevinc GUVENCE

Avocat à la Cour – Senior Associate

Me Sébastien COUVREUR

Avocat à la Cour, Partner

 



[1] L’indexation se définit comme la clause d’une convention à exécution successive en vertu de laquelle la somme portée sur le titre pourra être modifiée au moment du paiement en fonction d’un indice économique ou monétaire. L’application des adaptations indiciaires est automatique, le locataire étant obligé de suivre l’évolution indiciaire et d’adapter le loyer le moment venu, ce sans invitation préalable du bailleur.

[2] Les articles 3 à 5 ne s’appliquent pas aux logements avec confort moderne, non-standard :

a-dont le loyer mensuel est supérieur à 269 euros, valeur au nombre cent de l’indice pondéré du coût de la vile au 1er janvier 1948, ou,

b-dont le capital le capital investi, fixé conformément à l’article 3, paragraphes (2), (3) et (4) :

-par m² de surface utile, calculée conformément aux dispositions prévues par la législation sur la publicité foncière en matière de copropriété, d’un logement faisant partie d’une copropriété,

est supérieure à 618€, valeur au nombre cent de l’indice des prix de la construction en 1970, ou,

-par m² de surface utile d’habitation, calculée conformément aux dispositions prévues par al législation concernant l’aide au logement, des maisons unifamiliales est supérieur à 450€, valeur au nombre d’indice cent de l’indice des prix de la construction en 1970,

à condition que le contrat de bail stipule clairement qu’il s’agit d’un des logements visés au présent article et qu’il n’est pas soumis aux articles 3 à 5.

[3] Tribunal d’arrondissement de Luxembourg, instance d’appel, 16/01/2024, Numéro du rôle : TAL-2023-07925

[4]Justice de Paix de et à Luxembourg (LJP), 31 janvier 2024, L-bail 405-23, répertoire fiscal no 386/24 qui a retenu que « (…) toute indexation automatique du loyer est interdite en application de l’article 5 de la loi modifiée du 21 septembre 2006 sur le bail à usage d’habitation, même en cas d’accord des parties, et que la société SOCIETE1.) SA ne peut partant pas se prévaloir utilement de l’adaptation du loyer en vertu de la clause d’indexation automatique stipulée à l’article VII du contrat de bail ». Dans le même sens, LJP , 25 janvier 2024, L-BAIL-555/22, L-BAIL -676/22, rép. Fiscal no 308/24

[5] En matière commerciale, l’indexation des loyers est de droit. Jugement bail commercial, cf TAL , 8/12/2021, Numéro TAL-2021-03756 du rôl

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