Droit immobilier

Comment faire la différence entre biotopes, habitats d’espèces protégées, et protection des espèces ?

Comment faire la différence entre biotopes, habitats d’espèces protégées, et protection des espèces ?

 

Il n’est pas toujours aisé de distinguer et de comprendre les régimes juridiques applicables à la protection légale des sites et des espèces protégées, tant la loi du 18 juillet 2018 concernant la protection de la nature et des ressources naturelles et ses règlements d’exécution apparaissent – a priori – difficiles à déchiffrer. Ces difficultés se constatent jusqu’au niveau du ministère de l’Environnement et des bureaux d’étude agréés, lesquels ne sont pas toujours armés – du fait de leurs liens étroits avec le ministère et de la nécessité de les préserver – pour défendre au mieux les intérêts du promoteur ou du maître d’ouvrage.

 

Précisons d’emblée, à cet égard, que les intérêts du porteur de projet ne sont pas forcément antagonistes de ceux inhérents à la protection de la nature. Bien au contraire, alors que la prise en considération éclairée par l’expertise d’un bureau d’étude et le cas échéant d’un avocat spécialisé en droit de l’environnement à un stade précoce de la conception du projet, permet d’intégrer à la planification les éléments de valeur environnementale, en évitant par conséquent leur destruction et au promoteur, le paiement de taxes environnementales lourdes (éco-points).

 

Par ailleurs, la juste interprétation des textes de loi permet d’éviter qu’il soit imposé au promoteur des mesures environnementales purement « cosmétiques », parfois absurdes voire contreproductives sur le plan de la protection de l’environnement, ou encore irréalistes et qui sont de nature à engendre des coûts excessifs (par exemple, il serait demandé au promoteur de faire l’acquisition de terrains en-dehors de la zone considérée pour le projet, afin de réaliser des haies, rangées d’arbres etc., alors que de telles réalisations ne s’avèreraient pas nécessaires, voire contreproductives pour la protection de la ou des espèces considérées).

 

Cet exposé liminaire étant fait, il convient dès lors de préciser les mécanismes juridiques prévues par la loi du 18 juillet 2008 du point de vue de la protection des espèces et des éléments naturels.

 

  1. I.                   La protection de certains éléments naturels identifiables in situ

 

 

L’article 17 de la loi modifiée du 18 juillet 2018 énonce :

 

« Il est interdit de réduire, de détruire ou de détériorer les biotopes protégés, les habitats d’intérêt communautaire ainsi que les habitats des espèces d’intérêt communautaire pour lesquelles l’état de conservation des espèces a été évalué non favorable.

 

 

(…)

 

 

En dehors de la zone verte, une autorisation du ministre portant dérogation à l’interdiction du paragraphe 1 er est requise pour la réduction, la destruction ou la détérioration des biotopes protégés, des habitats d’intérêt communautaire, des habitats des espèces d’intérêt communautaire pour lesquelles l’état de conservation des espèces est évalué non favorable. En cas de compensation dans les pools compensatoires conformément à l’article 64, le débit des éco-points du registre suite au paiement de la taxe de remboursement conformément aux articles 65 et 66 vaut autorisation dans ce contexte.».

 

La loi précitée interdit dès lors les « réduction, destruction, et détérioration », sauf autorisation ministérielle, des éléments naturels suivant :

 

-                                    des biotopes protégés ( tels que déterminés par le règlement grand-ducal du 1er août 2018 et suivant l’annexe 8 de la loi du 3 mars 2022) ;

 

-                                    des habitats d’intérêt communautaire (annexe 1 de la loi)

 

-                                    des habitats d’espèces d’intérêt communautaire (listes d’espèces annexes 4 et 5 de la loi) dont l’état de conservation est évalué non favorable (annexe 2 RGD 1er août 2018 éco-points).

 

 

La première conclusion que l’on peut en tirer et qu’une présentation de la protection des seuls « biotopes » au sens de l’article 17, est une vision trop simpliste qui omet les habitats d’espèces d’intérêt communautaire et les habitats d’intérêts communautaire. Autres remarques, seuls les biotopes listés par le règlement grand-ducal d’exécution sont protégés, et non bien évidemment, tous les biotopes existants, alors qu’il serait matériellement impossible d’en dresser une liste exhaustive. De même, l’on observera que ce sont les habitats et espèces d’intérêt communautaire qui sont protégés. Les espèces protégées uniquement au Luxembourg et non au niveau européen ont un statut de protection particulier.

 

 

Donc, si un terrain comporte des éléments naturels, identifiés dans les documents réglementaires et législatifs précités, une autorisation pour la réduction, destruction ou détérioration de ces éléments naturels serait requise en application de l’article 17 de la loi précitée. Un règlement grand-ducal précise également ce qu’il faut considérer comme réduction, destruction ou détérioration, ce qui est impératif du point de vue de l’exigence constitutionnelle du principe de légalité des peines (nullum crimen, nullum poena sine lege).

 

 

Les deux premières catégories (biotopes protégés et habitats d’intérêts communautaire) sont facilement identifiables dans la mesure où elles impliquent la présence d’éléments naturels, c’est-à-dire des structures physiques, détectables sur un terrain donné.

 

 

En ce qui concerne les biotopes protégés, la loi et le règlement grand-ducal du 1er août 2018 comportent une liste de 22 structures physiques, qui seraient à considérer comme biotope protégé. Même sans connaître les espèces végétales ou animales, qui y vivent, les biotopes sont à suffisance définis par la seule énonciation de la structure physique existant sur le terrain. Ici donc, l’élément naturel est protégé « en tout état de cause », c’est-à-dire même si, à un moment T, aucune espèce animale n’y trouve son habitat.

 

On retrouve ainsi, par exemple, comme biotopes protégés par la loi précitée, les haies vives et broussailles [BK17] (mais non pas les haies d’agrément des jardins) ou encore les groupes et rangées d’arbres [BK18], au sens du RGD précité.

 

 

Il en est de même pour les habitats d’intérêt communautaire. L’annexe 1 de la loi comporte une énumération de 29 structures physiques identifiables concrètement sur le terrain, qui sont à considérer comme habitats d’intérêt communautaire présents au Luxembourg. On retrouve comme « habitats d’intérêt communautaire », par exemple les pelouses sèches, les tourbières, les hêtraies, etc.

 

 

En revanche, pour les « habitats d’espèces d’intérêt communautaire pour lesquelles l’état de conservation des espèces est évalué non favorable », il n’existe pas de liste d’occupation du sol, c’est-à-dire de structures naturelles visibles sur le terrain. On dispose de listes des espèces qui sont visées (annexes 4 et 5 de la loi), mais non pas d’une liste énonçant les structures physiques qui représenteraient leur habitat. En d’autres termes, on ignore, en termes d’élément naturel, ce qui peut représenter un tel habitat. Un tel habitat peut être une maison habitée par exemple, qui peut constituer l’habitat d’une espèce de chauves-souris, dont l’état de conservation est jugé non favorable, comme le Murin des marais (Myotis dasycneme). Cela peut être également un jardin dans lequel se reproduit une espèce d’intérêt communautaire dans un état défavorable, etc.

 

 

Dans ce cas, une autorisation ministérielle serait nécessaire pour la démolition de la maison concernée ou du jardin concerné et par conséquent, de l’habitat de cette espèce.

 

 

Il est vrai que le règlement grand-ducal du 1er août 2018 établissant les biotopes protégés, les habitats d’intérêt communautaire et les habitats des espèces d’intérêt communautaire pour lesquelles l’état de conservation a été évalué non favorable, fournit à son article 2 alinéa 4 certaines informations sur la nature de ce genre d’habitats :

 

 

« Les habitats des espèces d’intérêt communautaire pour lesquelles l’état de conservation a été évalué non favorable, visés par la protection de l’article 17 de la loi précitée du 18 juillet 2018 correspondent à tous les biotopes ou habitats occupés par lesdites espèces, sous condition que leur venue y est régulière et qu’un lien fonctionnel direct existe entre l’habitat et les spécimens de ces espèces. Outre les sites de reproduction, y inclus tous les habitats essentiels à la reproduction, et les aires de repos, qui sont soumis à une protection particulière par l’article 21 de la loi précitée du 18 juillet 2018, les habitats des espèces animales d’intérêt communautaire ayant un état de conservation non favorable, visés par l’article 17 de la prédite loi correspondent également aux habitats de chasse ou de recherche de nourriture, ainsi qu’aux couloirs écologiques, régulièrement visités ou occupés ».

 

 

D’après ce texte constitueraient donc de tels habitats non seulement les sites de reproduction ou leurs aires de repos de ces espèces, mais aussi les territoires de chasse et de recherche de nourriture, pour autant que la venue des espèces protégées « y est régulière et qu’un lien fonctionnel direct existe entre l’habitat et les spécimens de ces espèces ».

 

 

Ainsi, il ne suffit pas, comme cela est malheureusement trop souvent le cas dans les études SUP ou les screening environnementaux, d’avoir détecté, à un moment donné, un survol d’une certaine espèce protégée, pour conclure à la présence d’un habitat d’espèce d’intérêt communautaire.

 

 

Il faudrait cependant encore s’interroger sur la valeur juridique de ce texte, qui fait partie d’un règlement grand-ducal. En effet alors qu’un règlement grand-ducal devrait exécuter une loi, celui-ci va plus loin que la loi. Il faut se demander si un règlement grand-ducal peut prévoir des règles nouvelles allant au-delà de celles retenues par le législateur. Le pouvoir exécutif empièterait sur les compétences du pouvoir législatif. Il convient de noter qu’en l’occurrence si le législateur avait voulu faire rentrer les territoires de chasse et de recherche de nourriture dans la catégorie des habitats d’espèces protégées, il aurait pu le faire, comme il l’a d’ailleurs fait pour les sites de reproduction et les aires de repos. Mais le législateur ne l’a justement pas prévu dans la loi.

 

 

Le fait que le législateur ne l’ait pas prévu dans la loi paraît fondé du point de vue juridique. Les sites de reproduction et les aires de repos se laissent facilement déterminer sur le terrain, parce qu’ils correspondent le plus souvent à des structures physiques, clairement déterminables et délimitables sur le terrain. Les territoires de chasse et de recherche de nourriture, par contre, couvrent des espaces importants, variables dans le temps, et non pas limitées à des éléments naturels. Ainsi peuvent-ils comprendre des surfaces bâties, respectivement des surfaces très éloignées de l’état naturel. Une route, une place en macadam, un dépotoir, une carrière, des jardins, des cultures agricoles, etc. peuvent être des terrains de chasse ou de recherche de nourriture.

 

 

En somme toute utilisation du sol peut en faire partie. N’importe quelle action du justiciable pourrait ainsi devenir constitutive de l’infraction de destruction ou de dégradation d’habitats d’espèces, si le territoire de chasse d’une espèce est considéré comme un habitat de cette espèce, laquelle peut être assortie de lourdes sanctions (jusqu’à 750.000 euros d’amende notamment).

 

 

L’article 2 alinéa 4 texte du règlement grand-ducal du 1er août 2018 paraît ainsi enfreindre le principe de la légalité de la peine, dans la mesure où l’infraction ne serait pas suffisamment déterminée. Il est rappelé que la Cour constitutionnelle s’est prononcée à ce sujet dans son arrêt n° 00138 du 6 juin 2019 concernant la définition des biotopes :

 

 

« Considérant que le principe de la légalité de la peine consacré par l’article 14 de la Constitution a comme corollaire celui de la spécification de l’incrimination ;

 

 

Considérant que le principe de la légalité de la peine implique partant la nécessité de définir dans la loi les infractions en des termes suffisamment clairs et précis pour exclure l’arbitraire et permettre aux intéressés de mesurer exactement la nature et le type des agissements sanctionnés ; …  ».

 

 

Enfin il convient de souligner que le texte en question du règlement grand-ducal, prévoit que la venue des espèces sur le biotope ou l’habitats soit régulière et qu’un lien fonctionnel direct existe entre l’habitat et les spécimens de ces espèces. Pour pouvoir invoquer cet article il faudrait donc être en mesure d’établir, dans le chef du ministère de l’Environnement, non seulement la simple présence, mais une présence régulière ainsi que le lien fonctionnel. Dans le rapport du bureau d’études les deux éléments de présence ne sont pas établis.

 

 

Même si la loi du 18 juillet 2018 a procédé a un basculement douteux de la charge de la preuve qui pèse souvent sur le demandeur d’autorisation (qui doit démontrer que la construction est « légalement existante », ou encore qu’il est « agriculteur à titre principal », etc.), en matière de protection des biotopes et habitats, la charge de la preuve incombe bien encore au ministère de l’Environnement.

 

 

  1. II.                La protection des espèces en tant que telles

 

 

Au-delà de la question de la protection des éléments naturels, respectivement des endroits (habitats) fréquentés par les espèces d’intérêt communautaire en état défavorable, la loi précitée vise la protection directe de certaines espèces.

 

 

L’article 21 de la loi précitée retient :

 

« (1) Concernant les espèces animales intégralement protégées en supplément des interdictions prévues à l’article 19, il est interdit :

 

 

1°                de piéger, de capturer et de mettre à mort intentionnellement des individus de telles espèces, quelle que soit la méthode employée ;

2°                de perturber intentionnellement des individus de telles espèces, notamment durant les périodes de reproduction, de dépendance, d'hibernation et de migration ;

3°                de détruire ou ramasser intentionnellement dans la nature ou de détenir les œufs de ces espèces ;

4°                de détériorer ou de détruire leurs sites de reproduction ou leurs aires de repos ;

5°                de naturaliser, de conserver, de collectionner ou de vendre des individus de telles espèces même trouvés blessés, malades ou morts ;

6°                d'exposer dans des lieux publics ces espèces.

 

(…)

 

(2) Un acte intentionnel est un acte conscient d’accomplir une atteinte prohibée par le paragraphe 1 er ou d’avoir pour résultat cette atteinte prohibée.

 

(…) ».

 

L’article 27 de la loi retient que :

 

« Une autorisation du ministre est requise lorsque des projets, plans ou activités sont susceptibles d’avoir une incidence significative sur des espèces protégées particulièrement ou sur leurs sites de reproduction ou leurs aires de repos. Le ministre peut prescrire dans cette autorisation toutes mesures d’atténuation d’incidence visant à minimiser ou même à annuler cette incidence significative.

 

 

Ces mesures d’atténuation anticipent les menaces et les risques de l’incidence significative sur un site, une aire ou une partie d’un site ou d’une aire, afin de maintenir en permanence la continuité de la fonctionnalité écologique du site, de l’aire ou d’une partie du site ou de l’aire pour l’espèce concernée, en tenant compte de l’état de conservation de cette espèce. Tant que cette condition préalable est remplie, contrôlée et surveillée, il n’y a pas lieu de recourir à la dérogation prévue par l’article 28. ».

 

 

Le règlement grand-ducal modifié du 9 janvier 2009 concernant la protection intégrale et partielle de certaines espèces animales de la faune sauvage, dresse la liste de ces espèces protégées. Il existe également un autre règlement grand-ducal en matière de protection de la flore, à savoir celui du 8 janvier 2010 concernant la protection intégrale et partielle de certaines espèces de la flore sauvage.

 

 

  1. III.             Mise en situation

 

 

Lors de la réalisation d’une étude environnementale sur un terrain donné, il faudra donc faire l’inventaire des éléments de protection, qu’il s’agisse de biotopes, ou d’habitats d’espèces protégées, et vérifier avec rigueur, si les conditions fixées par la loi et les règlements grand-ducaux précitées sont donnés ou non. Ces conditions sont susceptibles d’interprétation : c’est notamment le rôle du bureau d’étude agréé, idéalement de concert avec l’avocat spécialisé en la matière.

 

 

En effet, chaque notion doit être considérée avec prudence et rigueur compte tenu des définitions légales afférentes, et les affirmations du ministère de l’Environnement ne peuvent être envisagées comme paroles bibliques – ce qui est trop souvent le cas en pratique. Ainsi, la jurisprudence a notamment pu affirmer que le terrain de chasse d’une espèce protégée, n’était pas à qualifier d’habitat au sens de la loi du 18 juillet 2018 :

 

 

« s’il est vrai que plus  particulièrement  le  Vespertilion  à  oreilles  échancrées invoqué  par  la  partie  étatique  fait partie des espèces de l’annexe 2 de la loi du 19 janvier 2004,  le  tribunal  relève  de  prime  abord  que  la  partie  étatique  ne  se  fonde  pas  sur  le  constat que le pré dans lequel le manège est prévu d’être aménagé,  constitue  un  habitat  pour  cette espèce ou une autre espèce visée à l’annexe 2, l’habitat d’une espèce étant défini par l’article 3  point  j)  de  la  loi  du  19  janvier  2004  comme  suit  « le  milieu  défini  par  des  facteurs abiotiques et biotiques spécifiques où vit l’espèce à l’un des stades de son cycle biologique », de  manière  à  viser  uniquement  le  milieu  où  « vit » l’espèce à l’un des stades de son cycle biologique, impliquant les sites de reproduction de même que les aires de repos, cette notion ne  pouvant  toutefois  être  étendue  à  un  quelconque  site,  situé  même  à  une  distance  pouvant théoriquement  être  atteint  par  cette  espèce,  notamment  pour  servir  de  terrain  de  chasse potentiel » (T.A., 23 avril 2018, n° 37927 du rôle).

 

 

La réduction, la destruction ou la détérioration (il faut analyser au cas par cas si le projet de construction ou de développement urbain est susceptible d’engendrer celles-ci eu égard aux définitions de la loi), de biotopes, devra être compensée par équivalent (paiement des taxes environnementales éco-points), tandis que la destruction d’habitat doit être compensée en nature par des mesures dites « CEF », c’est-à-dire des mesures d’atténuation anticipées ou « continuous ecological functionality », qui visent, en substance, à ce que soit récréé un nouvel habitat pour l’espèce protégée qui doit être au moins équivalent à l’habitat détruit pour le projet.

 

 

 

Dans ces circonstances, deux questions fondamentales se posent : « qu’est ce qui est détruit ? » est qu’« est-ce qui est remis en place ? ». En fonction de la réponse à ces deux questions, les coûts environnementaux d’un projet peuvent varier très fortement.

 

 

Nous renvoyons à ce sujet à notre article sur les compensations environnementales.

 

 

 

Me Sébastien COUVREUR – Avocat à la Cour

Me Jean-Claude KIRPACH, Avocat

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