Arrêt de la Cour Constitutionnelle du 4 octobre 2013
Saisie d'une question préjudicielle par le Tribunal administratif, la Cour Constitutionnelle s'est récemment prononcée sur la constitutionnalité de certaines dispositions de la loi modifiée du 19 juillet 2004 concernant l'aménagement communal et le développement urbain.
Les faits :
Les circonstances de l’affaire actuellement pendante devant les juridictions administratives peuvent être résumées comme suit :
L’administration communale Walferdange décida, dans le cadre de la révision de son plan d’aménagement général (PAG) de reclasser un terrain situé antérieurement dans son intégralité en « zone d’habitation – section dense », partiellement en zone non constructible.
Les propriétaires du terrain en question, après s’être vu rejetée leur réclamation auprès du ministre de l’Intérieur et à la Grande Région, ont introduit un recours en annulation à l’encontre de la décision ministérielle portant approbation du reclassement opéré.
Dans le cadre du recours contentieux devant le Tribunal administratif, les requérants ont sollicité auprès du Tribunal administratif qu’il soit soulevé une question préjudicielle à la Cour Constitutionnelle.
Le tribunal soumit donc la question suivant à la Cour :
« Les articles 5 respectivement 10 et suivants de la loi modifiée du 19 juillet 2004 concernant l’aménagement communal et le développement urbain dans la mesure où ils permettent le reclassement de parcelles d’une zone constructible en une zone non constructible, sont-ils conformes à l’article 16 de la Constitution consacrant le droit à la propriété privée ? » ;
La position de la Cour Constitutionnelle :
La Cour Constitutionnelle recadra en premier lieu les débats.
Ainsi, suivant cette dernière, la question posée était de savoir « si la loi modifiée du 19 juillet 2004, dans la mesure où elle permet, par la modification du PAG, le reclassement sans indemnisation de terrains d’une zone constructible en terrains d’une zone non constructible, est conforme à l’article 16 de la Constitution consacrant le droit à la propriété, dès lors que ce dernier article ne permet l’expropriation que pour cause d’utilité publique et moyennant juste indemnisation ; ».
Après avoir rappelé sa jurisprudence constante, suivant laquelle « un changement dans les attributs de la propriété qui est à tel point substantiel qu’il prive celle-ci d’un de ses aspects essentiels, peut constituer une expropriation », la Cour vient à la conclusion « qu'en posant en principe que les servitudes résultant d'un plan d'aménagement général n'ouvrent droit à aucune indemnité et qu'en prévoyant des exceptions à ce principe qui ne couvrent pas toutes les hypothèses dans lesquelles la privation de la jouissance du terrain frappé par une telle servitude est hors de proportion avec l'utilité publique à la base de la servitude, l'article 22, en combinaison avec les articles 5, 6, 2 et 8 de la loi modifiée du 19 juillet 2004, est contraire à l'article 16 de la Constitution ».
La portée de cette décision de la Cour Constitutionnelle doit cependant être tempérée. En effet, après avoir conclu à la non-conformité des dispositions précitées vis-à-vis de la Constitution, la Cour précisa :
« que la contrariété de ladite disposition à la Constitution n'entrave en rien le droit des pouvoirs publics d'instaurer des servitudes d'urbanisme dans un but d'utilité publique, laissant intact le principe de la mutabilité des plans d'aménagement général et n'autorisant pas le juge administratif à sanctionner un reclassement d'un terrain précédemment classé en zone constructible en zone non constructible ».
La Cour de restreindre la portée de sa décision à des conséquences civiles :
« Les propriétaires touchés peuvent en revanche, conformément au droit commun, suivant la situation concrète du cas d'espèce, le cas échéant faire valoir devant le juge judiciaire un droit à indemnisation dépendant, notamment, de la situation du terrain, du caractère contraignant de la servitude et des projets concrets de viabilisation du terrain ».
Décryptage :
Il est de jurisprudence constante, tant de la Cour Constitutionnelle que des juridictions administratives, qu’un changement dans les attributs de la propriétés, dont notamment le droit d’usage, qui est à tel point essentiel qu’il prive celle-ci de ses aspects essentiels, peut constituer une expropriation.
L’article 16 de la Constitution, consacrant le droit de propriété, énonce :
« Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et moyennant une juste indemnité dans les cas et de la manière établis par la loi. ».
L’article 22 de la loi modifiée du 19 juillet 2004 concernant l’aménagement communal et le développement urbain dispose :
« Les servitudes résultant d'un plan d'aménagement général n'ouvrent droit à aucune indemnité.
Toutefois une indemnité peut être accordée s'il résulte de ces servitudes une atteinte à des droits acquis ou une modification matérielle à l'état antérieur des lieux déterminant un dommage direct, matériel et certain.
A défaut d'accord amiable sur l'indemnité à payer, le tribunal compétent en fonction du montant réclamé par le demandeur de l'indemnité et du lieu de situation de l'immeuble sera saisi en vue de fixer l'indemnité.
Par dérogation au régime de droit commun et aux dispositions de la loi du 1er septembre 1988 relative à la responsabilité civile de l’Etat et des collectivités publiques, les demandes d'indemnités sont prescrites un an après le jour où le refus de l'autorisation de construire motivé par l'interdiction d'un plan d'aménagement général est devenu définitif. Si aucune autorisation n'est sollicitée, le délai est de dix ans à compter de l'entrée en vigueur du plan d'aménagement général.
Si une nouvelle modification du plan d’aménagement général ayant créé une servitude déterminée ouvrant droit à indemnisation intervient et devient définitive endéans le prédit délai de dix ans et entraîne une modification de la servitude en question,
une demande d’indemnité procédant du plan d’aménagement général initial n’est plus recevable. ».
La Cour Constitutionnelle a estimé que la disposition précitée, en ce qu’elle restreint à des hypothèses trop restrictives, le droit à l’indemnité consécutive au dommage subit du fait du reclassement d’un terrain, n’est pas conforme à l’article 16 de la Constitution.
La portée de cette décision doit être bien comprise. Les conséquences sont civiles, comme l’a justement précisé la Cour.
En effet, la circonstance que l’article 22 de la loi précitée n’est pas conforme à la Constitution ne restreint en rien les prérogatives des communes en matière d’aménagement communal. La jurisprudence récente de la Cour n’a pas de conséquence directe en droit administratif : le principe de la mutabilité des plans d’aménagement reste intact, et les juridictions administratives n’ont pas la faculté d’annuler le reclassement d’un terrain constructible, en terrain non constructible, sur la seule considération d’une comparaison de la situation antérieure à la situation projetée, et sur base de la non-conformité de l’article 22 de la loi précitée vis-à-vis de la Constitution.
Cependant, tout propriétaire foncier dont le terrain antérieurement constructible serait reclassé en terrain non constructible est désormais admis à exiger, le cas échéant en justice, l’indemnisation de son préjudice en lien causal avec le reclassement opéré, et ce même si l’article 22 précité ne lui permet pas cette possibilité.
Gageons également que si la décision de la Cour Constitutionnelle n’aura pas d’impact direct en droit administratif de l’aménagement communal, il ne fait peu de doutes que cette jurisprudence aura des conséquences indirectes.
En effet, la circonstance que le propriétaire d’un terrain constructible, reclassé en zone verte, puisse réclamer en justice l’indemnisation du préjudice consécutif au reclassement, auprès de la commune concernée, respectivement auprès de l’Etat, risque de peser lourdement sur la décision de reclasser ou non ledit terrain.
L’arrêt de la Cour Constitutionnelle est disponible via ce lien.
Par Maître Sébastien COUVREUR
Avocat.