Droit immobilier

Réforme de la loi du 19 juillet 2004 concernant l'aménagement communal et le développement urbain (logements abordables) : pas d'opposition formelle du Conseil d'Etat dans son avis du 25 mars 2025

Réforme de la loi du 19 juillet 2004 concernant l'aménagement communal et le développement urbain (logements abordables) : pas d'opposition formelle du Conseil d'Etat dans son avis du 25 mars 2025

 

Conformément aux annonces figurant dans l’accord de coalition 2023-2028, le Gouvernement a déposé un projet de loi n° 8481 portant modification de 1° la loi modifiée du 19 juillet 2004 concernant l'aménagement communal et le développement urbain ; 2° la loi modifiée du 17 avril 2018 concernant l'aménagement du territoire, ceci afin de revoir le régime des logements abordables à créer obligatoirement dans les plans d’aménagement particulier « nouveau quartier » (PAP NQ).

 

Le projet de loi porte sur plusieurs points :

 

-          Une modification des pourcentages de logements abordables à réaliser en vertu de l’article 29bis de la loi modifiée du 19 juillet 2004 ;

 

-          Les logements abordables ne seraient plus comptabilisés dans le coefficient de densité de logement (DL) ;

 

-      Introduction d’un mécanisme permettant aux communes de déroger, sous certaines conditions, à la clé de répartition des emplacements de stationnement prévu par le PAG au niveau du PAP NQ, « lorsque celui-ci implique la réalisation de logements abordables ».

 

I. Concernant les quotas de logements abordables dans les PAP NQ

 

Selon l’article 29 bis (2) de la loi modifiée du 19 juillet 2004 dans sa version actuellement en vigueur :

 

« Pour chaque plan d’aménagement particulier « nouveau quartier », qui prévoit un nombre de logements entre 10 et 25 unités, au moins 10 pour cent de la surface construite brute maximale à dédier au logement sont réservés à la réalisation de logements abordables.

 

Pour chaque plan d’aménagement particulier « nouveau quartier », qui prévoit un nombre de logements supérieur à 25 unités, au moins 15 pour cent de la surface construite brute maximale à dédier au logement sont réservés à la réalisation de logements abordables.

 

Lorsque le plan d’aménagement particulier « nouveau quartier » couvre des fonds reclassés d’une zone autre qu’une zone d’habitation ou zone mixte en une zone d’habitation ou une zone mixte par une modification du plan d’aménagement général, la part de la surface construite brute de ces fonds à réserver à la réalisation de logements abordables est portée :

 

1° à 20 pour cent si le plan d’aménagement particulier « nouveau quartier » prévoit un nombre de logements supérieur à 25 unités ;

2° à 15 pour cent si le plan d’aménagement particulier « nouveau quartier » prévoit un nombre de logements entre 10 et 25 unités ;

3° à 10 pour cent si le plan d’aménagement particulier « nouveau quartier » prévoit un nombre de logements entre 5 et 9 unités. ».

 

Il faut encore préciser que si le PAP NQ exécute une zone prioritaire d’habitation prévue par le plan directeur sectoriel Logement, alors le pourcentage de logements abordables à réaliser est de 30%, ceci en application de l’article 11, 2), 9°, b) de la loi modifiée du 17 avril 2018 concernant l’aménagement du territoire.

 

Le projet de loi simplifie les quotas applicables, tout en augmentant le nombre de logements abordables à créer par le(s) promoteur(s) dans le cadre des PAP :

 

« Pour chaque plan d’aménagement particulier « nouveau quartier », qui couvre des fonds classés en zone d’habitation ou en zone mixte et prévoit un nombre de logements supérieur ou égal à 10 unités, au moins 15 pour cent de la surface construite brute maximale à dédier au logement sont réservés à la réalisation de logements abordables ».

 

Ainsi, pour les « petits PAP NQ » compris entre 10 et 25 unités de logement, le pourcentage de logements abordables à réaliser passerait de 10% à 15%.

 

On remarquera par ailleurs que la modification suivant laquelle seraient désormais seuls visés les PAP NQ exécutant une zone d’habitation [HAB-1 ou HAB-2] ou une zone mixte [Mix-u], [Mix-v], [Mix-c], exclurait dont de l’obligation de réaliser des logements abordables dans les autres zones, même donc dans l’hypothèse où le PAP NQ prévoit la réalisation de logements (par exemple, un PAP NQ en exécution d’une zone spéciale qui permet la construction de logements).

 

Par ailleurs, le projet de loi retient que « Lorsque le plan d’aménagement particulier « nouveau quartier » couvre des fonds reclassés d’une zone autre qu’une zone d’habitation ou zone mixte en une zone d’habitation ou une zone mixte par une modification du plan d’aménagement général, la part de la surface construite brute de ces fonds à réserver à la réalisation de logements abordables est portée à 20 pour cent », sans faire désormais de distinction suivant le nombre d’unités de logement à réaliser.

 

Il semble à ce niveau que les auteurs du projet de loi de même que le Conseil d’Etat n’aient pas été attentifs au problème que la nouvelle disposition crée, puisque tout PAP NQ dans cette hypothèse devra prévoir un certain nombre de logements abordables correspondant à 20% de la SCB à dédier au logement, et ce, en principe, quel que soit le nombre d’unités de logement prévu par le PAP (sauf si l'on suppose que le texte, en désignant "le" plan d'aménagement particulier 'nouveau quartier' se réfère nécessairement à un PAP nouveau quartier supérieur ou égal à 10 unités de logement, par renvoi à l'alinéa précédent de la disposition, ce qu'elle n'indique cependant pas expressément).

 

En d’autres termes, suivant cette lecture, pour un PAP NQ de 1 à 5 unités de logement ou de 5 à 10, il faudrait déjà prévoir 20% de la SCB à dédier au logement, pour des logements abordables. Ces logements abordables devant ensuite être cédés (ou bien les lots à bâtir sur lesquels ils sont prévus) à une commune (lesquelles sont souvent réticentes à devoir « récupérer » un ou deux logements abordables dans un petit PAP NQ) ou un promoteur public au sens de l’article 29bis précité, cette circonstance peut constituer un blocage au développement de projets de moindre envergure : imaginons deux frères qui souhaitent construire deux maisons unifamiliales sur un terrain leur appartenant en indivision. Un tel projet ne serait plus possible puisqu’ils seraient alors tenus de construire un logement abordable supplémentaire, soit une maison unifamiliale + une bi-familiale comprenant un logement abordable…

 

Si l'on peut comprendre que là ne réside pas les intentions des auteurs du projet de loi, le texte mériterait d'être clarifié.

 

II. Concernant l’application des coefficients de densité

 

Le projet de loi prévoit l’insertion du texte suivant dans l’article 29 bis de la loi modifiée du 19 juillet 2004 :

 

« Ne déclenche pas l’application du mécanisme prévu au présent article, la construction de logements situés dans les :

1° structures médicales ou paramédicales ;

2° centres intégrés pour personnes âgées, maisons de soins, structures de logement encadré pour personnes âgées, centres psycho-gériatrique ou centres d’accueil pour personnes en fin de vie ;

3° structures d’hébergement réservées au logement provisoire de demandeurs de protection internationale, de réfugiés, de personnes pouvant bénéficier de la protection subsidiaire et de personnes pouvant bénéficier de la protection temporaire ;

4° internats. ».

 

Le commentaire des articles précise que « Il s’agit de répondre à des interrogations survenues lors de l’application de l’actuel article 29bis en ce qui concerne la réservation de surfaces pour le logement abordable à l’intérieur des structures d’hébergement, telles que les centres intégrés pour personnes âgées (CIPA), notamment. En effet, de telles structures ne se prêtent pas, du fait de leur nature et pour des motifs d’ordre urbanistique, à accueillir des logements classiques et a fortiori pas non plus des logements abordables. ».

 

En d’autres termes, la SCB affectée à ces logements et structures spécifiques ne sont pas à prendre en considération dans le calcul des quotas de logements abordables.

 

Cette disposition devrait être retravaillé sur base des remarques pertinentes du Conseil d’Etat (nécessité de se référer aux concepts prévus par la loi du 23 août 2023 portant sur la qualité des services pour personnes âgées.

 

Le projet de loi prévoit en outre que « Les dispositions du plan d’aménagement général ayant trait à la densité de logement, le nombre de logements admis par immeuble et le nombre de logements à réaliser sous forme de maisons unifamiliales ne s’appliquent pas aux logements abordables à réaliser en application du présent article ».

 

Parallèlement, il n’est plus prévu d’augmenter de dix pour cent le coefficient de densité DL en contrepartie de l’obligation de réaliser des logements abordables.

 

Concrètement, pour un PAP NQ prévoyant une SCB à dédier au logement de 10.000 m2 (par exemple, terrain brut de 1 hectare, avec un CUS de 1,0 prévu par le PAG) et une DL de 50 unités par hectare brut (50 logements à réaliser donc), le promoteur devra réaliser 1500 m2 (15% dans notre exemple) de SCB pour du logement abordable. Il pourra en principe alors librement répartir ces m2 en autant d’unités de logements abordables qu’il souhaite, respectivement qui sont possibles compte tenu des emplacements de stationnement et des exigences urbanistiques (volumétries, m2 minimales pour des surfaces habitables, etc.), puisque ces unités supplémentaires ne seraient pas limitées par la DL.

 

III.  Concernant les emplacements de stationnement

 

Le texte du projet de loi retient une modification de l’actuel article 26 de la loi modifiée du 19 juillet 2004 qui prévoit le principe suivant lequel les PAP NQ et QE précisent et exécutent les PAG.

 

Il retient que par dérogation à ce principe, « (…), le plan d’aménagement particulier « nouveau quartier » peut déroger au nombre d’emplacements de stationnement fixé par le plan d’aménagement général, à condition qu’une telle dérogation s’avère nécessaire pour améliorer la durabilité en matière de mobilité dans l’intérêt du plan d’aménagement particulier concerné. Dans ce cas, le rapport justificatif visé à l’article 29 est complété par un concept de mobilité spécifique. ».

 

Les auteurs du projet de loi écrivent que « l’augmentation de la densité de construction admise selon l’article 29bis entraîne, dans certains cas, des problèmes lors de la mise en œuvre de la clé de détermination du nombre d’emplacements de stationnement défini au niveau du PAG (« Parkraumschlüssel »).

 

Afin de remédier à cette problématique, il est proposé, d’une part, de limiter le nombre d’emplacements de stationnement pour les logements abordables à un emplacement au maximum et, d’autre part, d’introduire un mécanisme permettant de déroger à la clé de détermination des emplacements de stationnement prévu par le PAG dans le cadre de la procédure d’adoption d’un PAP.

 

Cette disposition spécifique en ce qui concerne la réduction du nombre d’emplacements de stationnement pour les logements abordables s’explique par deux raisons. Premièrement, il s’avère que les bénéficiaires de logements abordables disposent d’un nombre réduit de véhicules automobiles ce qui justifie un nombre d’emplacement de stationnement moindre. Deuxièmement, les coûts de construction desdits emplacements de stationnement impactent significativement le coût de leur réalisation ».

 

A la lecture du projet de loi, l’on ne voit cependant pas de disposition qui préciserait le principe suivant lequel un seul emplacement de stationnement maximum est requis pour les logements abordables.

 

Nous présumons que cette précision devrait alors figurer le cas échéant dans les parties écrites des PAG des communes.

 

En ce qui concerne la possibilité de dérogation des PAP vis-à-vis du PAG en ce qui concerne les emplacements de stationnement, nous relevons, à l’instar du Conseil d’Etat, que le texte retenu dépasse largement l’intention de ses auteurs, puisque la dérogation est générale et ne se limite pas à la question des logements abordables.

 

Ainsi, il serait envisageable de déroger au PAG pour les ratios d’emplacements de stationnement, pour tout PAP, qu’il soit nouveau quartier (PAP NQ) ou quartier existant (PAP QE), dès lors qu’il peut être démontré que celle-ci « s’avère nécessaire pour améliorer la durabilité en matière de mobilité dans l’intérêt du plan d’aménagement particulier concerné ». L’on remarquera que cette définition élastique des possibilités de dérogation s’inspire de la disposition toute aussi floue retenue actuellement à l’article 29 (2) de la loi modifiée du 19 juillet 2004, permettant à un PAP de déroger à un schéma directeur.

 

Etant donné que dans son avis du 25 mars 2025, le Conseil d’Etat n’a formulé aucune opposition formelle, il est raisonnable de penser que le projet de loi sera prochainement soumis au vote de la Chambre des Députés, dans une version qui ne devrait pas être fondamentalement revue.

 

Me Sébastien COUVREUR – Avocat à la Cour – Partner

 

 

 

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