Droit immobilier

Les normes techniques d’accessibilité « à tous » : le problème de l’adaptation des immeubles existants.

Les normes techniques d’accessibilité « à tous » : le problème de l’adaptation des immeubles existants.

 

[Le présent article est un extrait de la Revue Luxembourgeoise de Droit Immobilier "RLDI" n° 17-18 du mois de juin 2024, Legitech]

 

Les professionnels de l’immobilier, de même que les administrations communales, sont de plus en plus régulièrement confrontés à des problématiques techniques et juridiques en matière d’accessibilité des immeubles « à tous ». La loi du 7 janvier 2022 portant sur l’accessibilité à tous des lieux ouverts au public, des voies publiques et des bâtiments d’habitation collectifs, et ses règlements d’exécution, qui prévoient des dispositifs simples en apparence, soulèvent en effet de nombreuses questions, en raison des zones d’ombre qu’ils comportent.  

 

Les dispositifs en question sont d’application, pour tous les projets de nouveaux lieux ouverts au public, et tous les projets de nouveaux bâtiments d’habitation collectifs, y compris par voie de changement d’affectation[1], si la demande d’autorisation de travaux afférente a été introduite postérieurement au 1er juillet 2023[2].

 

Les normes techniques d’accessibilité concernent également les lieux ouverts au public existants, puisque ces derniers devront être mis en conformité avec les dispositions du règlement grand-ducal du 8 février 2023 relatif à l’accessibilité à tous des lieux ouverts au public et des voies publiques (…), pour le 1er février 2032 au plus tard[3], et ce, sous peine de sanctions pénales[4]. En outre, la législation prévoit implicitement, mais nécessairement, des hypothèses dans lesquelles un nouveau lieu ouvert au public serait créé dans une structure existante (un « cadre bâti existant »), ce qui peut impliquer la nécessité de l’adaptation de l’ensemble ou partie du bâtiment concerné aux normes d’accessibilité. Il se peut encore qu’un immeuble existant soit « transformé » en bâtiment d’habitation collectif, à la suite de travaux de transformation, d’agrandissement, et/ou de changement d’affectation.

 

La législation en matière d’accessibilité impose ainsi la prise en compte dans les projets de construction, des normes techniques d’accessibilité, détaillées et précises, sur une foule de thématiques pertinentes pour garantir l’accessibilité à tout un chacun (quel que soit la nature de son handicap) aux lieux ouverts au public ou assimilés, et aux bâtiments d’habitation collectifs, ayant trait, par exemple, aux accès et cheminements extérieurs, aux emplacements de stationnement, aux espaces de circulation verticale et horizontale, à l’accueil du public, à la signalisation, etc.

 

Si l’imposition de nouvelles normes de construction par rapport à des immeubles à construire ne pose – a priori – pas de difficulté majeure, du moins du point de vue de la conception des bâtiments (même si ces nouvelles normes peuvent impliquer une réduction du potentiel de constructibilité initialement envisagé), puisqu’il sont réalisés sur plans, il est évident que cette obligation devient plus problématique par rapport à des bâtiments existants en raison des contraintes physiques auxquelles ils sont confrontés (il n’est pas techniquement aisé d’élargir un couloir trop étroit, au sein d’une copropriété existante, ni de créer un emplacement de parking PMR dans un sous-sol existant, par exemple…).

 

Analyser l’ensemble des questions posées dans le cadre de la mise en œuvre des dispositions de la loi du 7 janvier 2022, dépasserait largement le cadre du présent article[5]. Nous nous contenterons donc d’étudier les incidences de la loi précités sur les bâtiments existants.

 

Il est toutefois nécessaire d’opérer un certain nombre de rappels ou d’exposés préliminaires en cette matière, afin de bien cerner les obligations légales en terme d’accessibilité des immeubles « à tous ».

 

 

1. Le champ d’application des normes d’accessibilité

 

(...) Voir l'article de la RLDI sur ce point. 

 

2. Qu’est-ce qu’un lieu ouvert au public « existant »

 

La loi n’est pas claire quant à la question de savoir comment interpréter les termes « lieux ouverts au public existants ». Que vise-t-on par le vocable « existant » ? Prend-on en compte uniquement les lieux ouverts au public « légalement existants »[13] ou bien tous les lieux ouverts au public « factuellement existant » au jour de l’entrée en vigueur de la loi, ou encore au jour de sa publication ? Ces deux conceptions impliquent des conséquences juridiques différentes. En effet, il se peut qu’un local donné en location à un professionnel libéral, par exemple un architecte[14], n’ait pas valablement été autorisé par le bourgmestre de la commune territorialement compétente (absence de droit acquis) pour ce type d’affectation. Si l’on part du principe que les lieux ouverts au public existants visent, au sens de la loi précitée, uniquement ceux qui sont « légalement existants », alors ledit local factuellement existant ne pourra pas bénéficier de la disposition transitoire permettant d’adapter le lieu jusqu’au 1er février 2032 au plus tard. Dès lors, dès le moment où le professionnel sera contraint (sous menace de sanctions pénales, le cas échéant), de faire autoriser le changement d’affectation pour régulariser sa situation, il devra également adapter les lieux aux normes techniques d’accessibilité, puisqu’il faudra considérer qu’il se voit autoriser un « nouveau » lieu ouvert au public, et que toute demande d’autorisation afférente introduite postérieurement au 1er juillet 2023 doit respecter les normes d’accessibilité. D’un autre côté, si l’on admet que seuls les lieux ouverts au public légalement existants sont visés par la loi, ceux qui sont irréguliers mais factuellement existants, échapperaient aux exigences de mises en conformité.

 

Si l’on analyse la question uniquement sous l’angle factuel, l’adaptation des lieux devra se faire pour le 1er février 2032, même si le cas échéant une régularisation – sur le plan administratif et urbanistique, a lieu auparavant.

 

A l’inverse, un immeuble ou une partie d’immeuble peut avoir été autorisé pour une affectation entrant dans le champ d’application de la loi, par exemple une auberge, mais être utilisé différemment, même si cette circonstance est plus rare en pratique. Dans ce cas, le régime juridique applicable à cette situation changera également selon que l’on prend en considération l’existence selon la conception juridique du terme, selon la conception factuelle du terme. La Cour administrative considère que « En termes  d’interprétation  trois  méthodes  essentielles  se  présentent  au  juge,  à  savoir une méthode historique permettant d’analyser les termes à interpréter à partir de la gestation du texte, une interprétation littérale ou étymologique se présentant à partir de la lettre du texte et une interprétation téléologique prenant en compte le but, voire la finalité de la disposition sous analyse. Il est de principe que si les trois méthodes d’interprétation n’amènent pas le juge à une interprétation concordante du texte, il faut et il suffit que le juge interprète celui-ci d’après le sens qu’il convient de donner à la disposition litigieuse, compte tenu plus particulièrement de sa finalité »[15].

 

En l’occurrence, la finalité de la disposition transitoire s’appliquant aux lieux ouverts au public existants vise à laisser aux personnes concernées, propriétaires ou locataires desdits lieux, un temps d’adaptation suffisamment important que pour pouvoir mettre en œuvre les travaux de mise aux normes. Du point de vue des personnes à mobilité réduite, l’objectif est de leur permettre de participer effectivement à la vie sociale, et donc d’accéder sans contraintes excessives, à des lieux qui sont matériellement ouverts au public. Dès lors, nous sommes d’avis que la notion d’ « existant » doit se comprendre du point de vue uniquement factuel et non juridique. Cette interprétation est d’ailleurs validée par le sens usuel du mot « existant », qui désigne tout simplement « ce qui existe ». Exiger de tenir compte uniquement des lieux ouverts au public valablement autorisés, serait ajouter une condition à la loi.

 

En d’autres termes, nous considérons que tous les lieux ouverts au public factuellement existant au 1er février 2032, devront avoir été préalablement adaptés aux normes d’accessibilité.

 

 

3. Diversité de situations concernant les immeubles existants

 

Comme déjà exposé, selon l’article 2 de la loi du 7 janvier 2022, « les nouvelles constructions de lieux ouverts au public, y compris les créations de lieux ouverts au public par voie de changement d’affectation » sont soumises au respect des exigences d’accessibilité pour « tous les projets dont la demande d’autorisation des travaux est introduite après l’entrée en vigueur de la présente loi »[16], c’est-à-dire pour tous les projets dont la demande d’autorisation est introduite après le 1er juillet 2023[17].

 

L’article 3 de la loi précitée vise quant à lui « les lieux ouverts au public existants ou situés dans un cadre bâti existant », lesquels doivent être mis aux normes d’accessibilité au plus tard pour le 1er février 2032[18] sous peine de sanctions pénales. Les bâtiments d’habitation collectifs existants, ne doivent pas être adaptés aux normes d’accessibilité.

 

Toutefois, si un immeuble existant est transformé en bâtiment d’habitation collectif, les normes d’accessibilité seront d’application. Tel serait le cas pour une copropriété de 4 unités de logement, en cas de création d’une unité de logement supplémentaire, suite par exemple à la division d’un lot en deux. De même, en cas de changement d’affectation – par exemple d’une unité de logement au sein d’une copropriété ou d’un immeuble de rapport – en commerce de détail, au sein d’un immeuble qui comporterait même déjà un lieu ouvert au public existant, il y aurait alors création d’un lieu ouvert au public et l’immeuble devrait être adapté sans attendre la date limite du 1er février 2032. Ces situations impliqueront potentiellement des conflits au niveau de la répartition des charges financières relatives aux travaux d’adaptation de l’immeuble.

 

Cette différence de régime du point de vue du champ d’application ratione temporis de la loi pourra conduire à quelques difficultés pratiques ou d’interprétation alors que les notions de « nouvelle construction » et de « changement d’affectation » ne sont pas toujours circonscrites avec précision, ni par le législateur, ni par la jurisprudence. Ainsi, la transformation d’un immeuble existant peut impliquer des démolitions/reconstructions partielles, notamment d’éléments porteurs. Aussi, si l’on considère que la démolition, le cas échéant partielle, conduit à une nouvelle construction d’un lieu ouvert au public, la loi précitée s’appliquera à partir du 1er juillet 2023. En revanche, si l’on qualifie le projet de transformation d’une construction existante (par exemple la transformation d’un cabinet de médecin en un cabinet de psychologue), les exigences d’accessibilité prévues par la loi ne s’appliqueront pour ce lieu ouvert au public qu’à partir du 1er février 2032, quoiqu’il puisse bien sûr être intéressant pour le propriétaire de profiter de ces travaux pour mettre immédiatement les lieux en conformité avec les normes d’accessibilité, sous réserve de l’accord de la copropriété pour ce qui concerne l’adaptation des parties communes. La rénovation légère ou plus lourde, peut aussi impliquer des démolitions partielles, des réagencements intérieurs, etc. Au fond, tout dépendra de la qualification du projet par le demandeur de permis respectivement par l’autorité compétente pour le délivrer, sous réserve d’un contrôle ultérieur par les juridictions...

 

 

4. L’épineux problème de la responsabilité et de la charge financière des travaux de mise aux normes des lieux ouverts au public existant

 

Selon l’article 3 (2) de la loi précitée, « Les propriétaires ou emphytéotes du lieu garantissent le respect des exigences d’accessibilité, en effectuant, à leurs frais, les travaux requis (…) » Toutefois, « les parties à un contrat de bail peuvent convenir que les travaux requis pour respecter les exigences d’accessibilité sont assumés par le locataire ».

 

Pour la mise en œuvre de cette disposition, il convient encore de distinguer trois situations d’adaptation d’un lieu existant :

-          Celui qui est « autonome » : il ne se situe pas dans un cadre bâti existant (il s’agit d’un bâtiment indépendant et exclusivement affecté au lieu ouvert au public existant concerné. Tel serait le cas par exemple d’un bâtiment accueillant uniquement un hôtel, ou une étude d’avocats) ;

-          Celui qui est situé dans un cadre bâti existant, mais ce cadre bâti n’est pas un bâtiment d’habitation collectif (par exemple, le local professionnel d’un kinésithérapeute indépendant, au sein d’une copropriété de 4 unités distinctes).

-          Celui qui est situé dans un cadre bâti existant, lequel est un bâtiment d’habitation collectif (par exemple, un restaurant dans une copropriété comportant dix unités d’habitation, des commerces et des bureaux).

 

La première situation est la plus simple : le propriétaire ou l’emphytéote, sinon le locataire si le bailleur a mis ces travaux à sa charge, est légalement tenu de réaliser et de financer les travaux de mises aux normes, d’ici le 1er février 2032 au plus tard, sous peine d’engager sa responsabilité pénale[19].

 

La loi fait ensuite – de manière très peu opportune – la distinction entre deux types de cadre bâti, selon que ce dernier est à qualifier comme « bâtiment d’habitation collectif » ou non. En effet, l’article 3 (3) de la loi retient que « Si le cadre bâti existant visé au paragraphe 1er, alinéa 1er, est un bâtiment d’habitation collectif, les exigences du présent article sont applicables sous réserve de l’accord :

 

1° du propriétaire du bâtiment, si le bâtiment appartient à un propriétaire ;

 

2° du syndicat des copropriétaires ou des coemphytéotes en conformité avec l’article 17, lettre c), de la loi modifiée du 16 mai 1975 portant statut de la copropriété des immeubles bâtis, si le bâtiment est une copropriété ;

 

3° des coïndivisaires du bâtiment, en conformité avec les articles 815-2 à 815-9 du Code civil, si le bâtiment se trouve en indivision entre plusieurs copropriétaires.

 

La décision de refus est adressée au demandeur des travaux d’accessibilité et une copie est adressée au ministre ayant la Politique pour personnes handicapées dans ses attributions.

 

Dans les hypothèses visées aux points 2° et 3°, la décision de refus est consignée dans le procès-verbal de l’assemblée générale. ».

 

Rien n’est prévu en revanche si le lieu ouvert au public existe dans un cadre bâti qui n’est pas un bâtiment d’habitation collectif. Il n’en demeure pas moins dans ce contexte que si le cadre bâti est une copropriété, les dispositions de la loi modifiée du 16 mai 1975 portant statut de la copropriété des immeubles bâtis, sont applicables à cette situation. De même, à l’évidence, les règles du code civil relatives à l’indivision seront aussi applicables si le cadre bâti est un immeuble indivis qui n’est pas un bâtiment d’habitation collectif.

 

On peut tirer de ce qui précède, les conclusions suivantes :

 

Lorsque l’adaptation du lieu ouvert au public existant se fait au sein d’une copropriété qui n’est pas un bâtiment d’habitation collectif, l’article 16 de la loi précitée de 1975[20] s’appliquera selon nous. En revanche, lorsque cette adaptation doit se faire au sein d’un bâtiment d’habitation collectif, l’article 3 de la loi du 7 janvier 2022 prévoit que cette décision est prise en assemblée générale à la majorité spéciale de l’article 17 de la loi précitée de 1975, soit la double majorité, celle de la majorité des trois quarts des voix augmentée de la majorité des copropriétaires.

 

Quoiqu’il en soit, la loi du 7 janvier 2022 n’est pas claire quant aux conséquences d’un vote négatif du syndicat des copropriétaires vis-à-vis des travaux d’accessibilité à réaliser au niveau des parties communes.

 

Elle prévoit uniquement que le demandeur des travaux en est informé et une copie du refus est envoyé au ministre ayant dans ses attributions la politique des personnes handicapées. Par ailleurs cette décision doit être retenue dans un registre des délibérations de la copropriété. Mais le texte énonce que les exigences de l’article 3 de la loi ne s’appliquent que si les travaux ont été approuvés par l’assemblée générale. En d’autres termes, et a priori uniquement lorsque le cadre bâti est un bâtiment d’habitation collectif[21], en cas de refus de la copropriété autorisant le propriétaire du lieu ouvert au public existant à réaliser les travaux, les exigences légales ne s’appliqueraient plus : ainsi, l’application de cette disposition légale serait tributaire de la volonté de l’assemblée générale, de la volonté privée des autres copropriétaires, de celle des voisins ! Le Conseil d’Etat a mis le doigt sur cette lacune : « L’impact de leur refus pour celui qui est obligé d’effectuer les travaux n’est ainsi pas réglé »[22].

 

La possibilité d’un vote négatif par l’assemblée générale doit être mise en rapport avec l’article 27 de la loi sur la copropriété des immeubles bâtis, qui permet au demandeur de s’adresser au tribunal pour obtenir une autorisation d’effectuer les travaux nonobstant ce refus : « Lorsque l’assemblée générale refuse d’autoriser un ou plusieurs copropriétaires à exécuter dans les parties communes des travaux d’amélioration visés à l’article 26 ci-dessus, ce ou ces copropriétaires peuvent être autorisés par le tribunal d’arrondissement à les accomplir aux conditions qu’il fixe ». Les travaux visés à l’article 26 concernent tous les travaux d’amélioration ou d’adjonction d’éléments d’équipement nouveaux à l’usage commun. Le tribunal pourra fixer aussi bien l’ampleur des travaux que leurs modalités.

 

En principe, le syndicat des copropriétaires est libre de son choix et pourrait voter en défaveur des travaux sollicités. Mais dans un tel cas, la question de l’abus de droit pourrait être soulevée par le demandeur d’autorisation. En effet, si l’affectation du lot (par exemple un cabinet médical) est conforme au règlement de copropriété, c’est-à-dire si cette affectation fait le contrat entre les copropriétaires, un vote négatif pour la réalisation des travaux d’accessibilité aurait comme conséquence le refus de l’exploitation régulière, puisque l’exploitant n’aurait plus le droit dans un tel cas d’assumer cette affectation : le règlement de copropriété donne au copropriétaire le droit à une certaine affectation, mais le vote négatif de l’assemblée générale va à l’encontre de ce droit. A notre avis, un tel vote négatif pourrait être annulé par le tribunal, ouvrant ainsi la voie à une demande en dommages-et-intérêts.

 

Dès lors, si le copropriétaire-exploitant veut éviter une éventuelle condamnation pénale en cas de non-réalisation de ces travaux d’ici le 1er février 2032, il ne pourra, à notre avis, se retrancher derrière un simple refus d’autorisation par l’assemblée générale, il sera obligé d’introduire un recours auprès de tribunal d’arrondissement. Seulement l’échec d’un tel recours pourrait être invoqué devant le juge répressif, pour justifier de l’impossibilité dans le chef du copropriétaire exploitant d’un lieu ouvert au public, de réaliser les travaux d’accessibilité.

 

Enfin, il y aura nécessairement, au sein des copropriétés avec mixité de fonctions, de taille importante, des discussions sensibles, d’ici le 1er février 2032, sur la question de la responsabilité et du financement des travaux de mise aux normes d’accessibilité. Si la copropriété comporte par exemple, plusieurs lieux ouverts au public existant : comment gérer la répartition des frais ? Par millièmes ? Et si un lieu ouvert au public est créé dans une copropriété qui comporte des lieux ouverts au public déjà existants, est-ce la personne qui crée ce nouveau lieu ouvert au public (qui nécessite alors immédiatement une mise aux normes de l’ensemble de la copropriété le cas échéant), qui devrait avoir seul la charge des travaux qui vont in fine, bénéficier à d’autres exploitants ? La loi n’a pas réglé ces problématiques, qui devraient dès lors être gérées en pratique par la négociation entre les copropriétaires.

 

 

5. Les travaux mis à charge du locataire

 

En principe, les travaux sont à réaliser et à financer par le propriétaire des lieux ouverts au public. L’article 1719 du Code civil stipule que le bailleur est obligé, par la nature du contrat et sans qu’il soit besoin d’aucune stipulation particulière, (…) d’entretenir la chose louée en état de servir à l’usage pour lequel elle a été louée. Cette obligation vise aussi les travaux de mise aux normes de conformité, de sécurité ou de salubrité imposées par les pouvoirs publics. La jurisprudence luxembourgeoise et étrangère l’a rappelé régulièrement[23]. Ainsi, « le bailleur est donc tenu de garantir le locataire non seulement des troubles que lui-même ou certaines personnes dont il doit répondre, pourraient lui causer, mais encore des troubles de droit causés par des tiers. En ce qui concerne en particulier les troubles provenant de l’administration, il est admis que l’acte de l’administration n’est un trouble de droit que lorsqu’il est légal et régulier (cit.)  »[24].

 

Mais cette disposition n’est pas impérative : le cas échéant, les parties peuvent y déroger. En matière de bail commercial (et plus particulièrement en matière de bail professionnel), cette disposition est supplétive : si les parties ont convenu que des travaux sont à charge du preneur, cette disposition contractuelle prime, dans le doute ou au cas où rien n’a été stipulé, les travaux sont à charge du bailleur. Notamment dans le cas des obligations légales pour des travaux de sécurité, la charge en incombe au preneur (tels les travaux d’installations de protection ou de salubrité pour les restaurants, etc.).

 

Afin d’éviter toute discussion à ce sujet, la loi du 7 janvier 2022 a prévu dans son article 3 (2) que les parties à un contrat de bail commercial ou d’habitation peuvent convenir que les travaux requis pour respecter les exigences d’accessibilité sont assumés par le locataire. Cette stipulation peut être retenue dans le contrat de bail ou dans une convention supplémentaire telle une annexe lors d’un renouvellement.

 

Il semble assez curieux que le législateur ait voulu réserver cette possibilité aux seuls contrats de baux commerciaux ou d’habitation. Mais cette interprétation est erronée : dans tous les cas, quelle que soit l’affectation, quel que soit le contrat de bail (d’habitation, commercial, mixte, professionnel ou autre), le bailleur peut prévoir dans le contrat de bail que les travaux soient assumés par le preneur, nonobstant des dispositions protectrices dans certains régimes de baux, tels les baux d’habitation ou les baux commerciaux.

 

En tout état de cause, il est conseillé de circonscrire cette obligation de manière précise de façon que l’obligation du preneur et notamment l’ampleur de son obligation (l’envergure des travaux aux parties communes ne doit pas être sous-estimée) soient incontestables. Dans les cas cités ci-dessus, la Cour de cassation française a sanctionné des formulations trop équivoques dans le style « le preneur prend les lieux en location dans un état bien connu par lui », ou « le preneur respectera toutes les obligations administratives qui lui incombent » (n’oublions pas qu’en principe l’obligation incombe au bailleur).

 

Il est tout autant utile de fixer clairement dans le contrat de bail quelle sera l’affectation du lieu. Si le lieu est donné en location à titre de location privée ou d’habitation, et que le preneur y exploite néanmoins une activité commerciale ou libérale annexe (affectation mixte), en créant ainsi un lieu ouvert au public, le propriétaire pourrait se voir responsable au niveau correctionnel pour avoir un lieu ouvert au public sans avoir effectué les travaux d’accessibilité nécessaires. Il peut donner en location un immeuble industriel, qui a été affecté comme atelier de réparation et que le preneur change à un moment donné en show-room. Si rien n’a été précisé dans le contrat de bail, il pourrait voir engager sa responsabilité. Ainsi il est primordial de préciser non seulement l’affectation générale du local donné en location (habitation, commerce, etc.) mais d’indiquer clairement et avec précision l’affectation des différents lieux (bureaux, atelier, stock, etc.) et surtout de circonscrire les lieux ouverts au public, si le bailleur ne peut en responsabiliser le preneur.

 

 

6. Les dérogations et solutions d’effet équivalent

 

(...) Voir l'article de la RLDI sur ce point.

 

 

7. Le rôle des agents immobiliers et des due diligence

 

Au 1er février 2032, seul un certain nombre de lieux ouverts au public existants seront accessibles à tous, conformément aux normes réglementaires. Beaucoup d’immeubles déjà existants au jour de la publication de la loi du 7 janvier 2022, se retrouveront dans le même état – du point de vue des normes d’accessibilité c’est-à-dire d’un point de vue structurel notamment – au 1er février 2032. Des cafés et restaurants avec une toilette au sous-sol sans ascenseur, une mezzanine sans accessibilité adéquate, des magasins avec des cabines d’essayage trop étroites, des études d’avocat et autres bureaux avec la salle de conférence non accessible pour tous car installée à l’étage supérieur, des écoles de musique ou artistiques privées, tout un ensemble d’établissements privés qui ont une marche au sol sans rampe pour une chaise roulante, etc. Souvent, les travaux n’auront pas été réalisés par manque de capitaux, très souvent par ignorance du propriétaire (que faire si le propriétaire des locaux réside à l’étranger ?), et ô combien de fois parce que les travaux n’étaient pas possibles pour cause de refus du syndicat des copropriétaires, d’un blocage entre les indivisaires, etc.

 

Ainsi, si dans les premières années qui suivent la publication de la loi, il y aura une certaine tranquillité sur le marché pour tous les lieux ouverts au public existants, cette situation risque de devenir plus tendue à l’approche de la date buttoir, fixée au 1er février 2032. En effet, en faisant l’acquisition d’un lieu ouvert au public existant qui n’est pas conforme aux normes d’accessibilité, l’acquéreur, reprendra pour son compte la responsabilité d’effectuer les travaux, et engagera en même temps sa responsabilité pénale à cet égard, à moins qu’il n'arrive à céder à son tour l’immeuble avant cette date limite, ou bien sûr, s’il est en mesure de réaliser les travaux à temps, ou encore, s’il peut valablement justifier d’une impossibilité de les réaliser… Ces circonstances devraient, pour les transactions immobilières importantes du point de vue des enjeux financiers, entrainer de vifs débats au moment des audits d’acquisition. Un peu à l’instar de la problématique de la pollution des terrains, nous conseillons de régler la question du partage des responsabilités entre l’acquéreur et le vendeur et de la prise en charge des frais des travaux de mise aux normes, au cours des négociations d’acquisition. Bien entendu, la valeur du bien dépendra aussi des dépenses qui devraient être engagées pour l’adaptation aux normes techniques d’accessibilités, soit si elles n’ont pas été réalisées, soit si elles n’ont été que partiellement mises en œuvre. Un contrôleur technique en accessibilité (les architectes ont cette qualité de par la loi, mais il peut s’agir également d’une personne spécialement agréée[28]) pourrait ainsi devenir une personne indispensable lors des due diligence, car, même s’il se limite en principe à établir des certificats de conformité des plans et des travaux, il pourrait également intervenir pour certifier auprès des parties à une transaction immobilière, si l’immeuble se trouve en conformité ou non avec les exigences d’accessibilité.

 

Il se peut aussi qu’un lieu ouvert au public existant ne puisse tout simplement pas être créé au sein d’une structure existante en raison de l’opposition de la copropriété à vouloir autoriser les travaux d’accessibilité requis par une telle structure. Ainsi, si le potentiel acquéreur désire acheter un lot d’habitation dans une copropriété vierge de tout lieu ouvert au public, afin de transformer ce lot, en cabinet médical par exemple, celui-ci sera bien avisé de vérifier au préalable si l’immeuble pourra – ou non – être mis en conformité avec les normes techniques d’accessibilité. Idéalement, l’acheteur veillera à la protection de ses intérêts via une clause suspensive ou une clause résolutoire.

 

L’agent immobilier, le notaire auront une obligation de conseil, ou au moins d’explication à l’acquéreur. Afin d’éviter des recours innombrables pour vice caché (ou apparent ?) au cas où le lieu ouvert au public n’est pas aux normes retenues dans la loi du 7 janvier 2022 et les règlements d’exécution, une mention spéciale serait pertinente.

 

Ces précautions rapidement esquissées, s’imposeront en pratique au gré des prises de conscience de ces problématiques par les professionnels du secteur immobilier et au fur et à mesure que l’on se rapprochera de la date du 1er février 2032, même s’il est fort probable que le législateur reportera alors cette échéance face au constat du retard pris par les propriétaires et acteurs concernés, dans l’adaptation des immeubles existants aux normes d’accessibilité[29]

 

 

Maître Sébastien COUVREUR



[1] Notion non définie par la loi du 7 janvier 2022 et partant, susceptible d’interprétations diverses.

[2] Art. 15 et 16 de la loi du 7 janvier 2022. En pratique, l’on constate également de nombreux débat sur cette disposition lorsqu’un projet initial, déposé à la commune avant le 1er juillet 2023, est modifié substantiellement par la suite.

[3] Art. 16 de la loi précitée.

[4] Art. 13. (5) de la loi précitée.

[5] Pour aperçu plus complet de la matière et des questions pratiques et juridiques posées, voir Georges KRIEGER, Sébastien COUVREUR, L’accessibilité à tous – L’adaptation des immeubles aux personnes à mobilité réduite, Portalis, 2023.

[6] Article 2, 1) de la loi du 29 mars 2001.

[7] Article 2, 2) de la loi du 29 mars 2001.

[8] Doc. parl., n° 7346/0, exposé des motifs, pp. 5 à 6.

[9] Ibidem.

[10] Ibidem.

[11] Art. 1er 1° de la loi du 7 janvier 2022.

[12] Doc. parl., 7346/11, p. 2 et suivantes.

[13] C’est-à-dire ceux qui seraient valablement couverts par la ou les autorisations administratives requise(s) et qui bénéficient à ce titre d’un droit acquis.

[14] Loi modifiée du 2 septembre 2011 réglementant l’accès aux professions d’artisan, de commerçant, d’industriel ainsi qu’à certaines professions libérales.

[15] C.A., 1er décembre 2016, n° 38334C du rôle.

[16] Art. 15 de la loi du 7 janvier 2022.

[17] Art. 16 de la loi du 7 janvier 2022.

[18] Ibidem.

[19] Art. 13 (5) de la loi précitée.

[20] « Ne sont adoptées qu'à la majorité des voix de tous les copropriétaires, les décisions concernant: (…)

b) l'autorisation à donner à certains copropriétaires d'effectuer à leurs frais des travaux affectant les parties communes ou l'aspect extérieur de l'immeuble, et conformes à la destination de celui-ci;

(…).

[21] Sous réserve que ce dispositif particulier soit considéré comme conforme au principe constitutionnel de l’égalité de traitement devant les charges publiques.

[22] Trav. prép. N°7346/05, p.15.

[23] Cass. fr., civ., ch. civile 3, 29 juin 2022, 21-14.482. Cass. fr.civ. ch. civile 3, 11 octobre 2018, 17-18.553.

[24] Trib. arr. Lux., 6 février 2009, n° 38/2009.

[25] Art. 12 de la loi du 7 janvier 2022.

[26] Voir sur ce point Georges KRIEGER, Sébastien COUVREUR, L’accessibilité à tous – L’adaptation des immeubles aux personnes à mobilité réduite, Portalis, 2023, p. 155 et s.

[28] Art. 9 de la loi du 7 janvier 2022.

[29] Le report des délais et des sanctions afférentes par le législateur luxembourgeois est une pratique qui a pu être observée tant en matière d’aménagement communal – délais impartis aux communes pour mettre en procédure la refonte globale de leurs PAG – qu’en matière de cadastre vertical par exemple. Voir à cet égard la loi du 29 mars 2024 portant modification de la loi modifiée du 19 mars 1988 sur la publicité foncière en matière de copropriété.

Retour sommaire