Droit immobilier

Les autorisations d’établissement des professionnels de l’immobilier

Les autorisations d’établissement des professionnels de l’immobilier

 

La Constitution garanti la liberté du commerce et de l’industrie, l’exercice de la profession libérale et du travail agricole, sauf les restrictions à établir par la loi. La loi fixe dès lors à son tour les conditions d’accès à la profession qui s’effectue par le biais d’« autorisations d’établissement ».

 

Les traités européens assurent pour leur part, la libre circulation des services et des travailleurs au sein de l’Union, de même qu’ils organisent le droit d’établissement en veillant au caractère non-discriminatoire des restrictions imposées par les législations des Etats membres.

 

Les professions soumises à autorisation d’établissement

 

Au Luxembourg, le droit d’établissement d’un certain nombre de professions d'artisan, de commerçant, d'industriel et de profession libérales, est encadré par la loi modifiée du 2 septembre 2011.

 

La loi précitée pose pour principe que « Nul ne peut, dans un but de lucre, exercer, à titre principal ou accessoire, une activité indépendante dans le domaine du commerce, de l'artisanat, de l'industrie ou des professions libérales visées par la loi sans être titulaire d'une autorisation d'établissement ».

 

Parmi les professions visées par la loi précitée (certaines professions sont réglementées par d’autres textes), et qui intéressent le secteur immobilier, l’on retiendra notamment :

 

- L’ «administrateur de biens» (l'activité commerciale consistant à gérer pour le compte d'un ou de plusieurs propriétaires un ou plusieurs immeubles sur base d'un mandat).

 

- L’ «agent immobilier» (l'activité commerciale consistant à intervenir comme intermédiaire dans les opérations portant sur les biens immobiliers. Cette intermédiation est généralement effectuée à titre de courtier dans le sens où l'agent immobilier met en relation deux personnes en vue de la conclusion d'un contrat portant sur des biens immobiliers).

 

- L’ «architecte» (l'activité libérale consistant à créer et à composer une œuvre de construction, d'urbanisme ou d'aménagement du territoire, à établir les plans d'une telle œuvre, à faire la synthèse et l'analyse des activités diverses participant à la réalisation de l'œuvre. Le champ d'activité de l'architecte inclut celui de l'architecte- paysagiste et de l'architecte d'intérieur).

 

- L’ «architecte d'intérieur» (l'activité libérale consistant à créer et à composer des espaces intérieurs, à établir les plans d'une telle œuvre, à effectuer la synthèse et l'analyse des activités diverses participant à la réalisation d'une telle œuvre).

 

- L’ «architecte-paysagiste et ingénieur-paysagiste» (l'activité libérale consistant à rechercher et à prévoir la planification, la conception, l'intendance, la conservation et la protection de l'environnement en dehors des espaces bâtis).

 

- Le « géomètre» (l'activité libérale consistant à maîtriser la science des mesures et à rassembler et à évaluer l'information relative au territoire dans le but de concevoir et de mettre en œuvre une gestion efficace de la terre, de la mer et des structures s'y rapportant ainsi que de promouvoir la connaissance et le développement de ces méthodes. L'exercice de la profession de géomètre peut s'étendre à toutes les activités prévues par l'article 1er de la loi modifiée du 25 juillet 2002 portant réglementation des professions de géomètre et de géomètre officiel).

 

- L’ «ingénieur-conseil du secteur de la construction»: (l'activité libérale consistant à concevoir des œuvres de construction à caractère technique, d'urbanisme ou d'aménagement du territoire, à établir les plans de telles œuvres et à faire la synthèse des activités diverses participant à la réalisation des œuvres).

 

- L’ «ingénieur indépendant»: (l'activité libérale consistant à concevoir des œuvres dans le domaine technique ou scientifique, à établir les plans et à faire la synthèse des activités participant à la réalisation de ces œuvres).

 

- Le «promoteur immobilier» (l'activité commerciale consistant à s'obliger envers le maître d'un ouvrage, à faire procéder, pour un prix convenu, au moyen de contrats de louage d'ouvrage, à la réalisation d'un programme de construction d'un ou de plusieurs édifices, ainsi qu'à procéder ou à faire procéder, moyennant une rémunération convenue, à tout ou partie des opérations juridiques, administratives ou financières concourant au même objet).

 

- Le «syndic de copropriétés» (l'activité commerciale consistant à représenter le syndicat des copropriétaires d'un ou de plusieurs immeubles bâtis, divisés en lots et soumis à la législation sur les copropriétés).

 

- L’ «urbaniste/aménageur» (l'activité libérale consistant à élaborer un concept d'organisation complète, cohérente et intégrée des territoires et espaces naturels ruraux ou urbains dans le respect de l'intérêt général et de la recherche d'équilibres territoriaux).

 

Il y a lieu de relever que l’exercice des activités précitées sans autorisation d’exploitation préalable, l’exploitant s’expose à des sanctions pénales prévues par la loi précitée.

 

Il faut relever également que l’existence d’une autorisation d’établissement à titre personnel dans le chef d’un dirigeant d’une société, n’est pas de nature à suppléer à l’absence  d’autorisation d’établissement  dans  le  chef  de  sa  société, si celle-ci exerce elle-même l’activité soumise à autorisation (il s’agissait en l’espèce d’une activité de promotion immobilière – voir C.cass, 13 juillet 2017, n° 3857 du Registre)

 

Les conditions d’octroi des autorisations d’établissement

 

Pour se voir délivrer une autorisation d’établissement, le demandeur doit pouvoir attester du respect des conditions légales d’honorabilité et de qualification, et doit également disposer d’un lieux d’exploitation fixe au Grand-Duché.

 

La liberté de commerce, d’industrie et des professions libérales étant en principe garanti par la Constitution, sauf les limites fixées par la loi, ces dernières restrictions étant l'exception, elles sont d'interprétation stricte (T.A., 27 février 1997 n° 9601 ; T.A., 20 juin 2002 n° 14111 ; T.A., 22 mai 2017 n° 36486).

 

Quant au lieu d'exploitation

 

L’article 5 de la loi précitée énonce :

« L’entreprise doit disposer d’un lieu d’exploitation fixe au Grand-Duché de Luxembourg qui se traduit par:

1. l’existence d’une installation matérielle appropriée, adaptée à la nature et à la dimension des activités poursuivies;

2. l’existence d’une infrastructure comportant les équipements administratifs ainsi que les équipements et installations techniques nécessaires à l’exercice des activités poursuivies;

3. l’exercice effectif et permanent de la direction des activités;

4. la présence régulière du dirigeant;

5. le fait d’y conserver tous les documents relatifs aux activités, tous les documents comptables et les documents relatifs à la gestion du personnel.

Une domiciliation au sens de la loi modifiée du 31 mai 1999 régissant la domiciliation des sociétés ne constitue pas un établissement au sens du présent article. ».

 

Quant aux deux premières conditions fixées ci-avant, la jurisprudence considère qu’  « Un établissement (…) présuppose un siège d’exploitation fixe qui doit être approprié à la nature et à la dimension de l'activité poursuivie et qui doit offrir une infrastructure opérationnelle. Pour qu’une infrastructure puisse être qualifiée d’opérationnelle, il faut que la direction des activités soit exercée effectivement et de manière permanente depuis le siège d’exploitation, que tous les documents relatifs à l’activité y sont conservés et finalement qu'une personne autorisée à engager l'entreprise à l'égard des tiers doit être présente de manière continue au siège d’exploitation » (T.A., 3 mars 2010 n° 25576, confirmé par C.A., 6 juillet 2010 n° 26746C ; T.A., 21 juin 2012 n° 28174).

 

Les juridictions administratives considèrent par ailleurs que ces conditions ne vont ni à l’encontre de l’article 11.6 de la Constitution, ni à l’encontre du droit de l’Union (C.A., 9 juin 2011 n° 27928C ; C.A., 26 novembre 2013, n° 32535C).

 

Quant à la troisième condition, la Cour a pu juger que « l'on ne saurait raisonnablement exiger une présence permanente, au siège d'exploitation de l'entreprise, d'une personne en qualité de personne autorisée à l'engager à l'égard des tiers, dans le cas d'une profession exercée par une personne agissant seule et étant appelée, de par la nature de sa profession, de se déplacer de manière régulière en-dehors du siège de l'entreprise » (C.A., 9  juin 2011 n° 27928C).

 

En revanche, il fut jugé qu’« il n'appartient pas au ministre ayant dans son champ de compétence la délivrance d'autorisations de faire le commerce en exécution de la loi du 28 décembre 1988, de vérifier si le commerce par lui autorisé peut être exercé dans une certaine zone définie par le plan d'aménagement général d'une commune, étant donné que suivant le principe selon lequel chaque autorité peut exclusivement agir dans la sphère de compétences qui lui est attribuée par la loi, il appartient au prédit ministre de vérifier exclusivement tant l'honorabilité que la qualification professionnelle de la personne physique souhaitant exercer une certaine activité commerciale ou du dirigeant au cas où l'activité commerciale est exercée par une société » (T.A., 28 février 2002 n° 13336).

 

De même, « le ministre n'a pas le pouvoir d'imposer à une société de délimiter son objet social statutaire de manière à viser exclusivement l'activité visée par son autorisation d'établissement » (T.A., 20 septembre 2004 n° 17629, confirmé par C.A., 1 février 2005, n° 18786C ; T.A., 11 mai 2005 n° 19017).

 

Quant à l’honorabilité

 

Suivant la jurisprudence constante, qui ne fait somme toute que rappeler les termes de la loi, « la finalité de la procédure d'autorisation préalable, ainsi que la possibilité de refuser l'autorisation pour défaut d'honorabilité professionnelle consistent à assurer la sécurité de la profession concernée et tendent à éviter l'échec de futures activités, tout en étant destinées parallèlement à assurer la protection de futurs clients ou cocontractants » (voir not. T.A., 28 avril 2011 n° 27333 ; T.A., 28 avril 2011 n° 26921 ; T.A., 5 octobre 2012 n° 31486 ; T.A., 26 avril 2018 n ° 39319).

 

L'honorabilité professionnelle s'apprécie sur base des antécédents du dirigeant et de tous les éléments fournis par l'instruction administrative pour autant qu'ils concernent des faits ne remontant pas à plus de dix ans.

 

Le respect de la condition d'honorabilité professionnelle est également exigé dans le chef du détenteur de la majorité des parts sociales ou des personnes en mesure d'exercer une influence significative sur la gestion ou l'administration de l'entreprise.

 

La loi prévoit des hypothèses dans lesquelles il doit être considéré d’office par l’autorité administrative compétente (le ministre ayant dans ses attributions les autorisations d’établissement) comme n’ayant pas l’honorabilité professionnelle requise. Cependant, la loi permet également que le ministre décide, au cas par cas, qu’un professionnel ne remplirait pas la condition légale d’honorabilité.

 

En effet, la loi énonce que « constitue un manquement privant le dirigeant de l'honorabilité professionnelle, tout comportement ou agissement qui affecte si gravement son intégrité professionnelle qu'on ne peut plus tolérer, dans l'intérêt des acteurs économiques concernés, qu'il exerce ou continue à exercer l'activité autorisée ou à autoriser.

 

En revanche, dans les hypothèses suivantes, le ministre doit obligatoirement conclure à un défaut d’honorabilité professionnelle :

 

a)

le recours à une personne interposée ou l'intervention comme personne interposée dans le cadre de la direction d'une entreprise soumise à la présente loi;

b)

l'usage dans le cadre de la demande d'autorisation de documents ou de déclarations falsifiés ou mensongers;

c)

le défaut répété de procéder aux publications légales requises par les dispositions légales relatives au registre de commerce et des sociétés ou le défaut de tenir une comptabilité conforme aux exigences légales;

d)

l'accumulation de dettes importantes auprès des créanciers publics dans le cadre d'une faillite ou liquidation judiciaire prononcées;

e)

toute condamnation définitive, grave ou répétée en relation avec l'activité exercée.

 

La qualification

 

Au-delà de la question de l’honorabilité, la loi précitée impose bien évidemment encore que les personnes sollicitant une autorisation d’établissement pour une certaine profession puissent démontrer de leurs qualifications pour exercer celle-ci.

 

La loi exige ainsi, par chacune des professions considérées, la production des diplômes et certificats de qualification afférents.

 

Dans le cadre du présent article, on épinglera les décisions jurisprudentielles suivantes :

 

L’ingénieur conseil :


« Le ministre des Classes moyennes et du Tourisme n'a pas compétence pour apprécier si une personne, physique ou morale, dispose de l'indépendance professionnelle nécessaire en vue de l'exercice de la profession d'ingénieur-conseil et il ne peut partant pas refuser l'autorisation d'établissement au motif qu'une telle condition ne serait pas remplie. Il doit se limiter à prendre en considération les conditions de qualification et d'honorabilité professionnelles légalement requises sur base de la loi d'établissement, sans analyser la question d'une éventuelle difficulté tenant à l'indépendance professionnelle » (T.A., 3 juin 99 n° 10606).


L’urbaniste-aménageur :

 

« Dans la mesure où le législateur a décidé, en raison de l’évolution des techniques d’élaboration des projets d’aménagement général, d’établir des conditions visant à ne réserver l’accès à la profession d'urbaniste aménageur qu’aux seules personnes répondant à la qualification professionnelle requise par la loi du 2 septembre 2011, les conditions ainsi fixées ne sauraient aucunement être assimilées à une violation de l’article 11 de la Constitution dès lors qu’elles ne font qu’encadrer cette liberté. Ce constat s’en trouve d’autant plus renforcé par la circonstance selon laquelle aux termes des dispositions concernées, il est permis aux personnes qualifiées dans un domaine apparenté et touchant au domaine de l’organisation de l’espace, tels que notamment les architectes et géographes d’avoir accès à la profession de l’aménageur ou de l’urbaniste en suivant une formation spécifique d’une durée d’au moins un an dans ce domaine, formation, par ailleurs, proposée par l’Université de Luxembourg » (T.A., 24 juin 2013 n° 29788 ; T.A., 28 février 2013 n° 29764).

 

Instruction de la demande, autorisation tacite et recours

 

L’article 28 de la loi précitée énonce que : « (1) Toute entreprise qui satisfait aux exigences prévues aux articles 3 et 4 obtient, sur demande, une autorisation d'établissement.

L'autorisation d'établissement est délivrée par le ministre après une instruction administrative.

Les modalités de l'instruction administrative et les pièces à produire seront déterminées par règlement grand-ducal ».

 

Le règlement grand-ducal du 1er décembre 2011 détermine ces modalités de l'instruction administrative.

 

L’article 31 de la loi retient que « le ministre accuse réception du dossier de demande d'autorisation d'établissement visé à l'article 28 endéans les quinze jours à compter de sa réception et informe le demandeur de tout document manquant. L'accusé de réception indique les délais de traitement du dossier, les voies de recours et comporte l'information que l'absence de décision dans le délai imparti vaut autorisation tacite.

L'envoi des pièces manquantes doit être suivi dans le même délai d'un nouvel accusé de réception, qui fera débuter le délai imparti.


(2) La procédure d'instruction de la demande d'autorisation d'établissement est achevée dans les plus brefs délais et sanctionnée par une décision dûment motivée du ministre, au plus tard endéans les trois mois de la réception du dossier complet.


(3) Ce délai peut être prorogé d'un mois dans les cas relevant du Titre II de la loi du 19 juin 2009 sur la reconnaissance des qualifications professionnelles. L'entreprise est informée avant la fin de la période des trois mois que la date limite sera repoussée d'un mois, excepté lorsque le ministre a clairement indiqué dans l'accusé de réception que la durée de la procédure serait de 4 mois.


(4) L'absence de décision dans les délais impartis vaudra autorisation tacite ».

 

Un recours en annulation contre la décision de refus d’octroi de l’autorisation d’établissement sollicitée peut être introduit, dans le délai de trois mois suivant la notification dudit refus, par un avocat à la Cour, devant le tribunal administratif.

 

Me Sébastien COUVREUR

Avocat à la Cour.

 

 

Retour sommaire