Droit immobilier

Le lotissement de terrains : évolutions en eaux troubles d’une notion malmenée par le législateur et par la jurisprudence

Le lotissement de terrains : évolutions en eaux troubles d’une notion malmenée par le législateur et par la jurisprudence

 

Analyse de l’arrêt de la Cour administrative du 27 janvier 2022 - Le texte complet de l’arrêt est disponible sous : https://ja.public.lu/45001-50000/46460C.pdf  -  Le texte complet de notre article est publié dans la revue luxembourgeoise de droit public

 


I. Faits de l’affaire.

 

Une société de promotion immobilière, propriétaire d’une parcelle d’un peu plus de 15 ares, sise le long d’une voirie existante, dans la localité de Bourglinster, commune de Junglinster, et classée en zone soumise à PAP quartier existant (ci-après « PAP QE »), sollicita, conformément aux exigences de l’article 29 (1) de la loi modifiée du 19 juillet 2004 concernant l’aménagement communal, une autorisation auprès du conseil communal en vue du lotissement de ladite parcelle dans le but d’y réaliser, sur six nouveaux lots à créer, deux fois trois maisons unifamiliales groupées en bande.

 

Bien que le projet immobilier eût été autorisable suivant la règlementation urbanistique toute nouvellement adoptée par la commune de Junglinster dans le contexte de la refonte globale de son PAG (suivant les dispositions réglementaires du PAP QE), le conseil communal refusa d’accorder le lotissement sollicité, en invoquant divers motifs relevant de considérations de politique urbanistique, justifiant, selon lui, de ne pas admettre un projet de division en lots qui permettrait, par la suite, l’émergence d’un projet immobilier d’une densité non souhaitée par l’autorité communale.

 

Par une requête inscrite sous le numéro 44036 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 20 janvier 2020, la société sollicita l’annulation de la décision de refus du conseil communal.

 

Les premiers juges rejetèrent l’argumentation formulée par la demanderesse, suivant laquelle le conseil communal aurait – comme la jurisprudence le reconnaissait auparavant dans le chef du bourgmestre en matière de morcellement – une compétence liée. Cela étant dit, le tribunal administratif estima que la compétence du conseil communal demeurait restreinte, en ce qu’elle ne pouvait empiéter, en matière de lotissement, sur le rôle du conseil communal en matière de PAG et de PAP, et sur le rôle du bourgmestre en matière d’autorisations de construire. Cela étant, il analysa ensuite tour à tour chacun des motifs invoqués par la commune, pour écarter ceux qui empiétaient sur ces compétences. Les premiers juges retinrent néanmoins la validité du motif de refus tirée de la considération que le projet de lotissement litigieux, respectivement du projet immobilier litigieux, risquerait d’engendrer une surcharge de la canalisation d’eaux mixtes située dans la rue desservante. D’autres motifs jugés surabondants, ne furent pas analysés par les juges.

 

En conséquence, le tribunal administratif déclara le recours en annulation non justifié.

 

La société releva appel de ce jugement, par requête déposée au greffe de la Cour administrative en date du 15 septembre 2021, sous le n° 46460C du rôle. Dans ce cadre, la société réaffirma sa thèse suivant laquelle, en matière de lotissement de terrains, le conseil communal dispose d’une compétence liée, et non pas une compétence discrétionnaire. La Cour ne fit pas droit à cet argumentaire et confirma, quoique pour d’autres motifs, le jugement dont appel. La plus haute juridiction administrative fit valoir que le conseil communal, était appelé à analyser la demande de lotissement de terrain à l’aulne du principe constitutionnel de la proportionnalité, en tenant compte des objectifs de l’aménagement communal figurant notamment à l’article 2 de la loi précitée.

 

II. ANALYSE

 

A.  L’évolution historique de la définition légale du terme « lotissement » et ses ambigüités


Le « lotissement de terrain » vise – selon l’article 29 de la loi du 19 juillet 2004 concernant l’aménagement communal et le développement urbain (ci-après, « la loi de 2004 »), dans sa version actuellement en vigueur – l’opération qui a pour objet « la répartition d’une ou de plusieurs parcelles en un ou plusieurs lots, en vue de leur affectation à la construction. ». Cette nouvelle définition (depuis la loi du 28 juillet 2011), est éminemment maladroite, à notre avis, car elle se confond plutôt désormais avec celle de « morcellement ». Le morcellement était toujours considéré par la jurisprudence comme une « division foncière d’une ou de plusieurs parcelles en plusieurs nouvelles parcelles en vue de créer des places à bâtir »[1], alors que le lotissement renvoie à une acception plus large de planification urbanistique[2], qui implique la division matérielle du terrain, mais aussi l’action de viabilisation des terrains résultant de la division en lots.

 

Il résulte selon nous, de cette confusion des concepts par les auteurs de la loi du 28 juillet 2011, une série de conséquences juridiques, qui nous paraissent contre-nature, contre-intuitives, et contraires à différents principes constitutionnels que nous aborderons ci-après. Pour les déconstruire, il nous semble important de revenir à l’origine historique de la définition juridique du lotissement.

 

Il faut savoir qu’avant l’entrée en vigueur de la loi du 28 juillet 2011, la loi de 2004 définissait en son article 105, le lotissement comme étant « la division d'un terrain en deux ou plusieurs parcelles en vue de les affecter à la construction d'un groupe d'au moins deux maisons. ». La condition de l’affectation des parcelles résultant du lotissement à la « construction d’un groupe d’au moins deux maisons », était à mettre en parallèle avec l’article 1er c) de la loi du 12 juin 1937, qui imposait l’établissement d’un projet d’aménagement particulier aux « associations, sociétés ou particuliers qui entreprennent de créer ou de développer des lotissements de terrains ou des groupes d'habitations. On entend par groupe d'habitations deux maisons ou plus occupant un terrain qui, en raison de son étendue, de sa situation et de la condition du propriétaire, est destiné à être soumis à un lotissement ».

 

En somme, la notion de lotissement était toujours intimement liée à celle du plan d’aménagement particulier. Il s’agissait donc tant de l’opération matérielle consistant à diviser des parcelles en vue de les rendre constructibles, mais aussi de l’opération de planification urbanistique (établissement de la règlementation d’urbanisme applicable sur les parcelles loties) et enfin de celle de la viabilisation des parcelles nouvellement créées. C’est ainsi que le lotissement revêtait un sens multiple, suivant la jurisprudence constante des juridictions administratives : « La notion de lotissement ne s’entend pas uniquement en tant que division d’un terrain au sens de l’article 105 de la loi du 19 juillet 2004, mais également en tant que l’opération de viabilisation du même terrain. Dès lors, un terrain doit faire l’objet d’un lotissement au sens d’«Erschliessung», lorsqu’il est enclavé et dépourvu de toute infrastructure et devant dès lors être viabilisé, par la mise en œuvre de voies d'accès et l'apport d'équipements sanitaires et de confort assurant sa viabilité et son autonomie (eau, électricité, gaz, réseaux de télécommunication, égouts et traitement des eaux usées, éclairage, aires de stationnement et espaces collectifs) »[3]. Il faut donc préciser que, selon la loi de 1937 et la version initiale de la loi de 2004, tout promoteur qui souhaitait procéder au lotissement d’un terrain – donc, en vue d’affecter les lots en résultant à un groupe d’habitation sur un terrain non viabilisé – était soumis à l’obligation d’élaborer un plan d’aménagement particulier[4].

 

La loi du 28 juillet 2011 a fondamentalement modifié la loi de 2004[5], en instaurant une distinction entre les PAP dits « nouveau quartier » (ci-après « PAP NQ »), et les PAP « quartier existant » (ci-après « PAP QE »), tout en maintenant le principe que le PAG doit être précisé par des PAP[6]. La règle générale fixée à l’article 25 de la loi modifiée de 2004, veut que l’exécution des PAG se fait en principe par le biais de PAP NQ, les communes ayant toutefois la faculté de définir dans leurs PAG, des terrains ou ensembles de terrains entièrement viabilisés pour lesquels un PAP QE est à élaborer.

 

Suivant la loi de 2004, dans sa version en vigueur, le lotissement de terrain (qui impliquait jadis l’opération de viabilisation d’un terrain), vise désormais uniquement « la répartition d’une ou de plusieurs parcelles en un ou plusieurs lots, en vue de leur affectation à la construction » dans les zones soumises à PAP QE. Or, par définition, ces zones sont considérées par les communes concernées, comme étant « entièrement viabilisées »[7]. L’éloignement pris par la définition actuelle du terme « lotissement », vis-à-vis de sa signification d’origine, est manifeste.

 

L’on retrouve peut-être à ce niveau, une des raisons pour lesquelles la Cour administrative a – à tort selon nous – considéré qu’un lotissement de terrain (qui est en réalité ni plus ni moins qu’un morcellement, selon la jurisprudence constante) au sens de l’article 25 de la loi de 2004, conférait un pouvoir d’appréciation dans le chef du conseil communal. Une telle marge d’appréciation va de soi si le lotissement est un acte administratif réglementaire, édictant des prescriptions d’urbanisme, et qu’il implique la viabilisation des lots à créer. En revanche, si le lotissement n’est rien d’autre qu’une opération de division d’une ou plusieurs parcelles en un ou plusieurs lots à bâtir, la justification d’un pouvoir d’appréciation dans le chef des autorités communales nous semble douteuse, voire susceptible de créer des risques d’insécurité juridique non négligeables.

 


B.  Rappel de la jurisprudence des juridictions administratives en matière de morcellement de terrain


Dans son arrêt sous analyse, la Cour administrative fait elle-même le constat que la notion de lotissement « a pris la relève en tant que notion, du « morcellement de terrains » visé par la législation antérieure ». Il nous semble important de rappeler que dans le cadre d’un morcellement, la jurisprudence constante retenait que le bourgmestre disposait d’une compétence liée, puisqu’il lui incombait de vérifier, d’une part, si le terrain était prêt à accueillir des constructions, c’est-à-dire s’il était viabilisé, et d’autre part, si les parcelles issues du morcellement étaient de dimensions suffisantes que pour y permettre la réalisation ultérieure, de bâtiments conformes à la règlementation urbanistique applicable[8].

 

Ainsi, dans le cas de figure précité, si la règlementation urbanistique communale admet sur les terrains concernés, la réalisation de deux fois trois maisons unifamiliales groupées en bande, il n’y a aucune raison qui justifie, a priori, que le conseil communal s’oppose à l’exécution d’un acte administratif (le PAP QE), qu’il avait lui-même voté quelques mois auparavant. Telle était en tout cas la position de la jurisprudence en matière de morcellement.

 

Cette situation était satisfaisante pour tous les acteurs impliqués : le promoteur tout d’abord, puisqu’il pouvait, sur base des dispositions urbanistiques communales, connaître précisément les contours des places à bâtir à créer, et il avait partant une sécurité de planification de son projet immobilier, dès l’acquisition du terrain à morceler. L’administration communale ensuite, puisqu’il n’y avait pas d’aléa dans le traitement dans la demande de morcellement, qui était accordée si elle était conforme aux textes applicables, ou refusée si elle ne l’était pas, ce qui réduisait tout risque d’arbitraire et plus loin, tout risque de contestation par des tiers.

 

C.  Analyse du raisonnement de la Cour pour écarter la thèse d’une compétence liée dans le chef du conseil communal


Le point central de la réflexion de la Cour, consiste à considérer que les objectifs de l’aménagement communal, prévus à l’article 2 de la loi (bien qu’il n’y ait pas de renvois directs entre l’article 29 et l’article 2 de la loi du 2004), sont applicables en matière de lotissement et partant, que le conseil communal est appelé à vérifier le respect de ces objectifs.

 

Nous ne pouvons pas partager cette analyse de la Cour. Tout d’abord, les objectifs fixés à l’article 2 de la loi sont pris en considération par l’autorité communale au moment de l’élaboration de sa règlementation urbanistique. C’est précisément en application de ces objectifs, qu’une commune décide de classer des terrains selon les cas, soit en zone soumise à PAP NQ, soit en zone soumise en PAP QE. Si elle opte pour un classement en zone soumise à PAP QE, la systémique de la loi veut que les dispositions urbanistiques précisant les modes d’affectation retenus par le PAG et plus généralement le potentiel constructible sur chaque terrain, soient précisés par les PAP QE[9] adoptés par le conseil communal, sous l’approbation de l’autorité de tutelle, parallèlement à l’adoption du PAG. Nous n’entrevoyons pas sur quelle base, fut-ce l’invocation du principe constitutionnel de proportionnalité, le conseil communal peut écarter l’application de sa règlementation urbanistique précédemment adoptée, sous couvert qu’elle ait été adoptée « en l’état du parcellaire existant » sous peine de méconnaitre le principe de sécurité juridique et le principe de hiérarchie des normes.

 

L’article 6 de la loi de 2004 énonce que « Le plan d’aménagement général a pour objectif la répartition et l’implantation judicieuse des activités humaines dans les diverses zones qu’il arrête aux fins de garantir le développement durable de la commune sur base des objectifs définis par l’article 2 de la loi. ». Ensuite, les PAP NQ et QE, qui précisent le PAG, doivent à leur tour être conformes aux objectifs de l’aménagement communal. L’article 30 de la loi de 2004 prévoit donc une double vérification à cet égard, puisque « la cellule d’évaluation émet son avis quant à la conformité et à la compatibilité du projet avec les dispositions de la loi et notamment les objectifs énoncés à l’article 2 » et que « Avant de statuer, le ministre vérifie la conformité et la compatibilité du projet de plan d’aménagement particulier avec les dispositions de la présente loi, et notamment les objectifs énoncés à l’article 2 ». Par ailleurs, de jurisprudence constante, les PAG et PAP QE adoptés sont présumés conformes à l’intérêt général.

 

Il nous semble tout à fait contradictoire que le conseil communal, appelé à statuer au stade d’une demande de lotissement de terrain, qui ne consiste plus qu’à « morceler » ceux-ci en autant de lot à bâtir que le permet la règlementation d’urbanisme, elle-même édictée en considération des objectifs de l’aménagement communal, puisse considérer qu’une telle demande, visant simplement à exécuter cette règlementation urbanistique, serait tout à coup contraire aux objectifs de l’article 2. Ce faisant, le conseil communal se contredirait passablement, selon nous.

 

Cela étant dit, aucune disposition de la loi de 2004 ne permet de conclure en ce sens que la marge de manœuvre du conseil communal consisterait à étudier si le projet de division en lots à bâtir serait conforme ou contraire à ses objectifs. En ce sens, la jurisprudence de la Cour, nous semble allouer au conseil communal une « session de rattrapage » pour corriger ce qui n’aurait pas été appréhendé au stade de l’adoption de la règlementation urbanistique, permettant en l’occurrence, deux fois trois maisons en bande, tout en contredisant donc, cette même règlementation.  Sous cet aspect, la question de la responsabilité civile de l’autorité communale, se pose dès lors selon nous nécessairement, en ordre subsidiaire.

 

Quant au principe constitutionnel de proportionnalité[10] invoqué par la Cour, afin d’écarter les dispositions urbanistiques réglementaires préalablement fixées par le Conseil communal pour justifier le refus d’autorisation de lotissement[11] – faut-il présumer que la Cour opère là une application de l’article 95 de la Constitution ? – il nous semble devoir être déployé en matière d’urbanisme avec force de rigueur et précaution, sous peine d’aboutir à des situations tout simplement imprévisibles, dans lesquelles le « bon sens », justifierait un refus d’application des dispositions urbanistiques en vigueur, générant ainsi des situations dommageables par ailleurs.

 

Ces conséquences dommageables peuvent être aisément comprises dans le chef de l’acquéreur d’un terrain, désireux d’y réaliser un projet immobilier après division en lots à bâtir, dès lors que la valeur commerciale du terrain est fixée en considération de la constructibilité de celui-ci, telle que retenue par la règlementation urbanistique. Mais elles peuvent aussi se trouver à d’autres niveaux. Ainsi, certains PAP QE n’interdisent pas la réalisation de plusieurs constructions principales par parcelles, voire l’autorisent expressément. Dans ces cas, l’arrêt de la Cour peut conduire à la situation absurde qui consisterait à ce que le conseil communal puisse refuser un lotissement de terrain, tandis que le bourgmestre, disposant d’une compétence liée, serait tenu d’autoriser néanmoins le projet de maisons jumelées ou en bande ayant été à la base de la demande de lotissement ; celles-ci se retrouveraient alors soumises à la loi modifiée du 16 mai 1975 portant statut de la copropriété des immeubles bâtis.

 

D. La nécessaire prise en considération du principe de sécurité juridique et de la confiance légitime


Selon la Cour constitutionnelle :  « Le principe de sécurité juridique, et ses expressions, tels les principes de confiance légitime et de non-rétroactivité des lois, font partie, par conséquent, des principes inhérents à tout système juridique basé sur le respect du droit. Dès lors que toute règle de droit doit non seulement être suffisamment claire et accessible, mais également prévisible, la Cour constitutionnelle considère que lesdits principes sont également à rattacher au principe fondamental de l’État de droit, ce dernier devant agir selon les règles de droit, de sorte à renforcer la protection juridictionnelle de tout individu. »[12]. Nous estimons que le Cour administrative aurait dû tenir compte des principes constitutionnels précités, pour retenir que la compétence du conseil communal saisi d’une demande de lotissement de terrain – mesure d’exécution d’un PAP QE – est nécessairement liée.

 

Il appartient au conseil communal, sous approbation des autorités de tutelle, d’édicter une règlementation urbanistique organisant les modes d’utilisation du sol et la constructibilité de chaque terrain, de chaque parcelle, en application des objectifs de la loi modifiée du 19 juillet 2004 et dans le respect des règlements grand-ducaux définissant le contenu des PAG et des PAP QE. Aussi, le règlement grand-ducal du 8 mars 2017 concernant le contenu du plan d’aménagement particulier « quartier existant » et du plan d’aménagement particulier « nouveau quartier », énonce clairement que le PAP QE doit réglementer, « [p]our chaque parcelle ou lot » : « les reculs des constructions par rapport aux limites du terrain à bâtir net ; le type et l’implantation des constructions hors sol et sous-sol, tels que notamment la profondeur de construction, l’alignement de façade et la bande de construction ; le nombre de niveaux hors sol et sous-sol des constructions abritant une ou plusieurs pièces destinées au séjour prolongé de personnes ;les hauteurs des constructions soit à la corniche et au faîte, soit à l’acrotère ; le nombre d’unités de logement ; ». En outre, le PAP QE peut également fixer toutes les dispositions prévues pour les PAP NQ, c’est-à-dire notamment « la délimitation et la contenance des lots ou parcelles ». En d’autres termes, il est tout à fait concevable que le PAP QE fixe une interdiction de lotissement de terrains dans certaines zones, ou encore conditionne ces divisions en lots sur base de certaines règles prévisibles (contenance minimale des places à bâtir, etc.).

 

Ainsi, un raisonnement a contrario laisse présumer qu’une commune qui n’a pas fixé de règles encadrant la constructibilité sur un terrain donné et n’interdisant pas ou ne limitant pas une division en lots, l’autorise nécessairement, sous réserve d’un contrôle par le conseil communal, pour autant que les places à bâtir à créer soient aptes à pouvoir accueillir des constructions en conformité avec la règlementation d’urbanisme. Une telle interprétation stricte des règles d’urbanismes, et le « principe de liberté »[13] qui s’en déduit, rappelés à plusieurs reprises par la Cour, sont d’ailleurs des fondements essentiels de la matière et sont impératifs sous l’angle de la sécurité juridique et de la sécurité de planification.

 

Aussi, la solution dégagée par la Cour dans l’affaire sous analyse nous semble contraire au principe de sécurité juridique, qui exige – surtout comme lorsqu’en l’espèce, il s’agit de limiter le droit de propriété également constitutionnellement garanti – que les règles soient claires, précises et prévisibles, ce qui n’est certainement pas le cas si le conseil communal peut bloquer au stade d’une demande de lotissement, en exécution d’un PAP QE qui lui est hiérarchiquement supérieur, un projet immobilier pourtant conforme audit PAP QE.

 

Ce problème d’insécurité juridique devient, suite à l’arrêt de la Cour, inhérent à tout projet immobilier impliquant un lotissement de terrain, tant les objectifs de l’aménagement communal fixés à l’article 2 de la loi de 2004 sont flous, et par conséquent malléables, générant par là un risque sérieux que la compétence discrétionnaire reconnue par la Cour, dérive en pratique vers un pouvoir arbitraire, ce qui n’est pas admissible dans un état de droit.

 

E.  Le lotissement, un acte réglementaire ?


Il reste encore à s’interroger si le lotissement doit être considéré comme un acte administratif individuel ou comme un acte administratif réglementaire. La position de la Cour à cet égard est claire :

 

« Le renvoi à l’article 82 de la loi communale souligne cependant la volonté du législateur de rester en principe dans les limites de l’autonomie communale et de faire participer dorénavant les décisions en matière de lotissement de terrains visées par l’article 29 de la loi du 19 juillet 2004 du dispositif réglementaire communal à l’instar des PAG et PAP QE, tandis que dans le régime antérieur la décision de morcellement prise par le bourgmestre était regardée comme ayant été un préalable direct à l’autorisation de construire relevant elle également de la compétence exclusive du premier magistrat de la commune. »

 

En somme, la Cour déduit du renvoi à l’article 82 de la loi communale, article repris sous le chapitre 6 intitulé « de la publication des règlements », que les décisions en matière de lotissement de terrain seraient dorénavant de nature réglementaire.

 

Pourtant, il nous semble que la question du caractère individuel ou réglementaire de la décision de lotissement mériterait une analyse plus poussée, particulièrement si l’on considère que la Cour assimile les autorisations de lotissement à celles de morcellement, lesquelles étaient des actes individuels relevant de la compétence du seul bourgmestre.

 

La question est loin d’être purement théorique. Si les décisions en matière de lotissement sont des actes administratifs réglementaires, la procédure administrative non contentieuse ne s’applique pas à ces dernières, avec toutes les conséquences qui s’en suivent, pour les destinataires de la décision et les tiers intéressés. Elles ne sont pas non plus susceptibles de conférer des droits acquis à leur destinataires, ceci en raison du principe de mutabilité applicable en matière réglementaire. Enfin, la marge d’appréciation de l’auteur de l’acte, et par la suite des juridictions administratives, diffèrera en fonction de la réponse apportée à la question.

 

Il faut préciser que le renvoi à l’article 82 de la loi communale, concerne uniquement le mode de publication de la décision. Il est vrai que la disposition précitée est reprise sans équivoque sous le chapitre 6 de la loi, intitulé « de la publication des règlements ». Mais le renvoi à un mode de publication utilisé pour les règlements communaux, ne nous semble pas déterminent pour pouvoir qualifier l’acte publié sous cette forme, d’acte réglementaire. Encore convient-il d’examiner la nature précise de l’acte, et sa portée exacte. Toute autre solution aboutirait à admettre des régressions de la protection des administrés, uniquement par le biais d’un changement dans le mode de publication des décisions administratives. Un bon exemple de ce mécanisme se situe au niveau de la loi du 25 février 2022 relative au patrimoine culturel qui prévoit le regroupement dans un règlement grand-ducal, des immeubles classés sur base de critères éminemment individuels, comme « patrimoine culturel national », alors qu’ils faisaient auparavant l’objet de décisions individuelles sous l’empire de la loi du 18 juillet 1983 concernant la conservation et la protection des sites et monuments nationaux.

 

Il faut relever par exemple que la publication d’une autorisation de construire, suivant les modalités fixées à l’article 82 de la loi communale, ne seraient pas de nature conférer un caractère réglementaire à cet acte.  A notre avis, il convient dès lors de vérifier in concreto, les effets de l’acte, tandis que son mode de publication ne peut être qu’un indice, insuffisant pour le qualifier. Jadis, le Conseil d’État s’était d’ailleurs prononcé en ce sens, que même un acte étant réputé en principe réglementaire, pouvait selon les circonstances être considéré comme un acte individuel : « Le caractère réglementaire d’une décision administrative ne saurait être reconnu au reclassement d’un terrain selon la loi du 12 juin 1937 concernant l’aménagement des villes et autres agglomérations importantes, dès lors qu’il résulte des éléments du dossier que le reclassement a été décidé non pas dans l’intérêt de tous les habitants du quartier, mais dans l’intérêt d’un seul particulier. »[14]. Il faut souligner encore qu’en Wallonie, il était admis en jurisprudence et en doctrine, que le permis de lotir[15], autorisant un lotissement, définit comme « l’acte par lequel le propriétaire d’un terrain divise celui-ci en deux ou plusieurs lots afin de vendre ou d’offrir au moins un de ces lots en vue de la construction d’une habitation »[16], revêtait un caractère hybride, « à la fois acte individuel et acte réglementaire »[17], étant précisé que le permis de lotir s’apparente d’avantage au PAP qu’au lotissement, au sens simple division en lots à bâtir. Ainsi, « Au départ de l’opération de lotissement, le permis de lotir s’analyse principalement comme un acte administratif individuel donnant au lotisseur – il n’y a pas encore de propriétaires de lots à ce moment – l’autorisation de diviser son terrain en vue de céder des lots destinés à la construction et au placement d’habitations, acte qui, comme tout acte administratif individuel, devient définitif et lui donner des droits acquis – au sens de la jurisprudence du Conseil d’Etat – une fois passées les délais de recours. »[18].

 

Les considérations qui précèdent, ainsi que la doctrine et la jurisprudence belge en matière de permis de lotir, dont la législation luxembourgeoise en matière d’urbanisme est largement inspirée, nous confortent dans l’idée qu’il convient d’analyser la décision du conseil communal en matière de lotissement, non pas seulement en tenant compte du mode de publication de la décision, mais surtout du point de vue de la nature de l’acte et de ses effets. Or, selon la théorie classique, les actes réglementaires sont ceux qui sont au moins susceptibles de s’appliquer à un nombre indéterminé de cas[19]. Ce sont ainsi ceux qui « contiennent des normes générales et impersonnelles s’appliquant à un nombre indéterminé de cas »[20]. En ce qui concerne les décisions prises par le conseil communal en matière de lotissement de terrain, il nous semble que celles-ci ne comportent aucune normes générales et impersonnelles, et qu’elles s’appliquent à une situation bien déterminée. Ces actes administratifs, quoique publiés sous les formes prescrites en matière de règlement communaux, ont dès lors selon notre appréciation, le caractère de décisions administratives individuelles, avec toutes les conséquences que cela implique. A l’instar des permis de bâtir, les autorisations de lotissement ont selon nous, un caractère réel, de sorte qu’elles ne sont pas rattachées à une personne déterminée, mais bien à un terrain déterminé, ce qui n’enlève rien à la catégorisation de ces décisions parmi les actes administratifs individuels.

 

Une telle interprétation aurait pour le moins le mérite de conférer une certaine prévisibilité aux décisions de lotissement et partant, une sécurité juridique en la matière, dans l’intérêt bien compris de tous les acteurs concernés.

 

Maître Sébastien Couvreur

Avocat à la Cour


 

 



[1] Trib. adm.., 12 janvier 2017, n° 35941 du rôle ; Trib. adm., 13 octobre 2014, n° 32991du rôle.

[2] Voir par analogie le « permis de lotir », devenu par la suite « permis d’urbanisation », en droit wallon.

[3] Trib. adm., 26 octobre 2009, n° 25448 ; Trib. adm., 22 septembre 2010, n° 26257.

[4] Selon la version initiale de la loi de 2004, et avant l’entrée en vigueur de la loi modificative du 28 juillet 2011, il n’existait pas de PAP « nouveau quartier » et de PAP « quartier existant ».

[5] Voir G. KRIEGER, Les autorisations du bourgmestre, Portalis, Luxembourg, 2014, p.19 et s.

[6] Article 25 de la loi modifiée du 19 juillet 2004.

[7] Article 25, troisième alinéa de la loi modifiée du 19 juillet 2004.

[8] T Trib. adm., 30 septembre 2019, n° 41393 ; Trib. adm., 30 juin 2004, n° 17206 ; Trib. adm., 5 novembre 2012, nos 28526 et 28527.

[9] Dont le contenu est encadré par le Règlement grand-ducal du 8 mars 2017 concernant le contenu du plan d’aménagement particulier « quartier existant » et du plan d’aménagement particulier « nouveau quartier » et son prédécesseur.

[10] Cour constitutionnelle, arrêt n° 00152 du 22 janvier 2021 ; Cour constitutionnelle, arrêt n° 00146 du 19 mars 2021.

[11] « Admettre tel quel le projet de lotissement de l’appelante reviendrait en quelque sorte à admettre pour cette parcelle  une  sorte  de  nouveau  quartier,  étranger  dans  sa  structuration  par rapport à l’ensemble des parcelles avoisinantes longeant la même rue.

Cette situation est le contre-exemple même d’une application proportionnée des règles d’urbanisme en la matière. 

Par conséquent, le projet de lotissement de l’appelante, quoique rentrant dans les potentialités offertes par le PAG et le PAP QE et en bonifiant quasiment à l’extrême l’utilisation du sol à l’endroit,  ne  serait  cependant  pas  de  nature  à  assurer  un  développement  harmonieux raisonnable en ce que, précisément, il contrevient au principe général de droit constitutionnel de la proportionnalité, le projet de lotissement en question étant hors commune mesure patente avec le quartier existant analysé au niveau des parcelles adjacentes longeant la même rue Fronert. »

[12] Cour constitutionnelle, arrêt n° 00152 du 22 janvier 2021.

[13] C.A .26 novembre 2009 n° 25790C et 25847C du rôle ; T.A., 11 juin 2018 n° 39143 du rôle ; T.A., 4 février 2019 n° 40313, confirmé par CA., 9 juillet 2019 n° 42463C du rôle.

[14] C.E., 22 février 1988, Nicolay, n° 7810, D. SPIELMANN, M. THEWES, L. REDING, Recueil de la jurisprudence administrative du Conseil d’État luxembourgeois (1985-1995), Bruylant, Bruxelles, 1996, p. 49.

[15] Devenu par la suite, permis d’urbanisation.

[16] C.E. belge, Martens, 21 mai 1974, n° 16.428 du rôle ; voir aussi M. PÂQUES, « La définition du lotissement et les autres divisions » in Pratique notariale et droit administratif, Larcier, 1998, p. 13 et s., n° 5

[17] J. VAN YPERSELE, B. LOUVEAUX, Le droit de l’urbanisme en Belgique et dans ses trois régions, Larcier, 2ème éd., Bruxelles, 2006, p. 371. Voir aussi F. GUERENNE, D. LAGASSE, P. NIHOUL, E. ORBAN DE XIVRY, « Les permis et certificats d’urbanisme » In Urbanisme et Environnement, Extrait du Répertoire pratique du droit belge, Complément, tome X, 2007, Bruylant, Bruxelles, 2009, p. 239, et les références y citées.

[18] Ibidem.

[19] Trib. adm., 25 juin 1997 nos 9799 et 9800.

[20] R. ERGEC, « Le contentieux administratif en droit luxembourgeois ÷, Pasicrisie administrative, mis à jour par F. DELAPORTE, 2021, p. 28, citant M. LEROY, Les règlements et leurs juges, Bruxelles, Bruylant, 1990, p. 25.

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