Droit immobilier

Morcellement / Lotissements de terrain : le tribunal administratif rajoute de la brume au brouillard…

Morcellement / Lotissements de terrain : le tribunal administratif rajoute de la brume au brouillard…

 

Le tribunal administratif vient de remettre un jugement, en date du 11 août 2021, dans le cadre d’une décision de refus de lotissement de terrain. Censé clarifier la situation du lotissement de terrain au sens de la nouvelle loi, le juge administratif a au contraire apporté d’avantage de confusion en la matière…

 

Analyse.

 

1. La notion de « lotissement »

 

Le lotissement peut être défini communément comme la division d’une chose en plusieurs lots (on parle d’allotissement en matière de marchés publics, ou encore de division en lots). En matière d’urbanisme, le lotissement concerne les terrains et est défini tantôt comme le « morcellement volontaire d'une propriété foncière par lots, en vue de construire des habitations » (Larousse), tantôt comme « la division en propriété ou en jouissance d'une unité foncière ou de plusieurs unités foncières contiguës ayant pour objet de créer un ou plusieurs lots destinés à être bâtis. » (Article L442-1 du Code de l’urbanisme français).

 

Le lotissement peut également s’entendre comme étant l’« opération d'aménagement par laquelle le lotisseur acquiert une parcelle non viabilisée, réalise les travaux de voirie et réseaux divers nécessaires pour desservir les terrains et étend les réseaux publics pour les raccorder en eau, en électricité. Il assure éventuellement les équipements collectifs d’assainissement, les réseaux de télécommunication et câblés, ainsi que les équipements de défense contre l'incendie ».

 

Dans cette acceptation, la notion de lotissement rejoint l’objectif du plan d’aménagement particulier nouveau quartier (PAP NQ) luxembourgeois. On le qualifie d’ailleurs parfois de « plan de lotissement ». A l’objectif de viabilisation du terrain, garanti par une convention de mise en œuvre des infrastructures et espaces publics du lotissement signée entre le promoteur et la commune, se superpose la règlementation urbanistique imposée au niveau du PAP. En Belgique, l’ancien permis de lotir a cédé la place à la notion de permis d’urbanisation, mais la logique demeure comparable au droit luxembourgeois.

 

Pour revenir au Luxembourg, il fut jugé que « la notion de lotissement ne s’entend pas uniquement en tant que division d’un terrain au sens de l’article 105 de la loi du 19 juillet 2004, mais également en tant que l’opération de viabilisation du même terrain, le texte allemand de la loi du 12 juin 1937 publié en son temps au Mémorial n° 57 du 7 août 1937, p.583, parlant à ce sujet tantôt de «Einteilung in Baulose» et tantôt d’«Erschliessung von Bauland». Ainsi un terrain doit faire l’objet d’un lotissement au sens d’«Erschliessung», si ledit terrain, desservi seulement par un chemin, étant a priori dépourvu de toute infrastructure et devant dès lors être viabilisé, par la mise en œuvre de voies d'accès et l'apport d'équipements sanitaires et de confort assurant sa viabilité et son autonomie » (T.A. 22 septembre 2010 n° 26257 du rôle).

 

On peut donc considérer que dans le langage courant et même en droit de l’urbanisme, la notion de lotissement a un double sens et recoupe tant l’acte de division que le résultat de cette même division, après réalisation des infrastructures publiques (routes, réseaux, aires de jeux, stationnements publics, etc.), le lotissement, représentant alors l’ensemble des lots issus d’une ou plusieurs parcelles loties et viabilisées.

 

Nous verrons cependant que la notion de « lotissement » au sens de l’article 29 de la loi modifiée du 19 juillet 2004 ne concerne que la division d’une propriété foncière en plusieurs lots destinés à être bâtis, mais non l’opération de viabilisation d’une ou plusieurs parcelles, cette opération de viabilisation nécessitant l’établissement d’un PAP NQ, tandis que le lotissement au sens de la loi précitée ne se conçoit que dans des quartiers existants, c’est-à-dire des quartiers considérés comme d’ores et déjà viabilisés.

 

2. La notion de « morcellement »

 

Suivant l’article 105 de la loi du 19 juillet 2004 concernant l’aménagement communal et le développement urbain, « on entend par morcellement de parcelles la division d'une ou de plusieurs parcelles en plusieurs nouvelles parcelles en vue de les affecter à la construction d'un groupe d'au moins deux maisons », tandis que suivant le même article, « On entend par lotissement d'un terrain la division d'un terrain en deux ou plusieurs parcelles en vue de les affecter à la construction d'un groupe d'au moins deux maisons. ». On le voit, la différence est minime entre les notions de lotissement et de morcellement, suivant cette disposition.

 

Selon la jurisprudence, « un morcellement au sens urbanistique du terme s’analyse en la division foncière d’une ou de plusieurs parcelles en plusieurs nouvelles parcelles en vue de  créer des places à bâtir » (T.A., 12 janvier 2017, n° 35941 du rôle ; T.A., 13 octobre 2014, n° 32991du rôle).

 

On peut déduire de ce qui précède que les notions de morcellement et de lotissement de terrain sont foncièrement voisines. La seule différence qui ressort de l’examen qui précède est que la notion de lotissement, vue comme une opération de viabilisation, impliquait l’élaboration d’un plan d’aménagement particulier destiné à garantir la viabilisation des terrains soumis à lotissement. Mais la jurisprudence n’a jamais distingué clairement les notions de morcellement ou de lotissement de terrain, lorsqu’il s’agissait de diviser un terrain en plusieurs nouveaux lots à bâtir, sans que cette opération ne soit soumise à un PAP.

 

Ainsi, traditionnellement, la division d’un terrain en une ou plusieurs parcelles à bâtir était soumis à autorisation de morcellement de la part du bourgmestre de la commune concernée. Mais si l’opération était soumise à l’obligation d’élaborer un PAP (« en cas de développement de lotissements de terrains ou de groupes d’habitations. On entend par groupe d’habitations deux maisons ou plus occupant un terrain qui, en raison de son étendue, de sa situation et de la condition du propriétaire, est destiné à être soumis à un lotissement »), l’on parlait alors plutôt de lotissement.

 

3. La loi du 28 juillet 2011 portant modification de la loi modifiée du 19 juillet 2004


La loi précitée a apporté beaucoup de changements systémiques en droit de l’urbanisme luxembourgeois par rapport à la version antérieure de la loi de 2004.

 

Sans entrer dans les détails, elle prévoit notamment que le territoire communal est divisé en plusieurs zones par un plan d’aménagement général (PAG) qui en définit les affectations. Le PAG est ensuite précisé par un plan d’aménagement particulier (PAP), qui concerne soit « des terrains ou ensembles de terrains constituant une zone urbanisée » - on parle alors d’un PAP QE (quartier existant) qui est élaboré par la commune, parallèlement à la procédure d’adoption du PAG – soit qui concerne des terrains devant être encore viabilisés – on parle alors d’un PAP NQ (nouveau quartier).

 

Dans l’hypothèse d’un PAP NQ, ce dernier comprend un plan de lotissement destiné à définir d’une part les futurs lots à bâtir, et d’autre part, les surfaces destinées aux infrastructures publiques du lotissement, qui seront cédées gratuitement par le promoteur au domaine public communal.

 

Dans l’hypothèse d’un PAP QE, il n’y a pas de division de terrains prévues ab initio. Le PAP QE est une règlementation urbanistique qui s’applique aux terrains y visés et qui organise la constructibilité et les affectations admises dans les différentes zones qu’il prévoit en exécution du PAG.

 

La loi a prévu toutefois qu’une division de terrains, appelée sans doute maladroitement « lotissement » (il eut été plus opportun de parler d’un morcellement de terrain pour éviter les ambiguïtés liées au double sens du mot lotissement) dans une zone PAP QE, est possible. Le cas classique est un terrain d’une certaine largeur, situé le long d’une rue entièrement équipée. La division de ce terrain, en plusieurs lots à bâtir distincts, est alors possible sans nécessiter la réalisation de nouvelles infrastructures de viabilisation, chaque terrain à bâtir pouvant avoir ses propres accès et raccordements individuels aux réseaux publics (eau, gaz, électricité, …) existants.

 

L’article 29 de la loi modifiée du 19 juillet 2004 retient à cet égard :

 

« Tout lotissement de terrains réalisé dans une zone soumise à un plan d’aménagement particulier «quartier existant» est décidé par le conseil communal et publié conformément à l’article 82 de la loi communale modifiée du 13 décembre 1988.

On entend par lotissement de terrains, la répartition d’une ou de plusieurs parcelles en un ou plusieurs lots, en vue de leur affectation à la construction. ».

 

En ce sens, la notion de lotissement de terrain, s’apparente encore clairement à la notion de morcellement telle que fixée par la jurisprudence des juridictions administratives, c’est-à-dire la simple « division foncière d’une ou de plusieurs parcelles en plusieurs nouvelles parcelles en vue de  créer des places à bâtir », laquelle division seule n’implique pas de viabilisation des parcelles concernés, puisque, par définition, les terrains à lotir au sens de l’article 29 de la loi sont censés être viabilisés, puisque repris dans une zone urbanisée justifiant le classement en « quartier existant » et que l’article 25 de la loi définit ces zones urbanisées comme regroupant « des terrains ou ensembles de terrains qui sont entièrement viabilisés conformément à l’article 23 alinéa 2, sans préjudice de la nécessité de procéder à d’éventuels travaux accessoires de voirie appliqués aux accotements et trottoirs ou impliquant une réaffectation partielle de l’espace routier » !

 

Nous verrons toutefois que les juges administratifs viennent, en première instance, d’opérer une distinction importante entre le morcellement de terrain, et le lotissement de terrain, distinction qui, selon notre analyse, n’a pas lieu d’être.

 

4. Quelle est la nature du pouvoir conféré au conseil communal ?

 

Suite à l’entrée en vigueur de la nouvelle loi (et après adoption par les communes des PAP QE), une question s’est rapidement posée : quelle est l’étendue du contrôle dont dispose le conseil communal lorsqu’il est saisi d’une demande de lotissement d’un terrain soumis à un PAP QE ?

 

En matière de morcellement de terrain, la jurisprudence des juridictions administratives était claire :

« Le bourgmestre saisi d’une demande de morcellement d’un terrain est en droit de vérifier, de manière sommaire, si les règles d’urbanisme ne s’opposent pas à la constructibilité des parcelles nouvellement créées. Le seul fait du classement d’un terrain par le PAG en une zone d’habitation ne saurait impliquer pour le bourgmestre l’obligation d’accorder ipso facto une autorisation pour un morcellement. » (T.A. 30 septembre 2019 n° 41393 du rôle).

 

« L'autorisation de morcellement telle que prévue par l'article 57.1.1 du règlement sur les bâtisses de la Ville de Luxembourg est soumise à une double condition, à savoir d'une part l'existence d'un terrain constructible, et d'autre part l'exigence que le terrain en question soit aménagé. Si la question de la constructibilité du terrain dépend tant de questions techniques que du classement réglementaire du terrain, la condition d'aménagement présuppose quant à elle que le terrain destiné à être morcelé dispose de voies d'accès et des équipements sanitaires et de confort assurant sa viabilité (eau, électricité, gaz, réseaux de télécommunication, égouts et traitement des eaux usées, éclairage, aires de stationnement et espaces collectifs). Le but d'une telle formalité est en effet d'assurer que le bourgmestre puisse vérifier les données exactes relativement aux contours, dimensions et contenances des nouvelles parcelles à créer par le morcellement sollicité d'un terrain d'ores et déjà prêt à accueillir des constructions, afin de garantir le maintien de leur constructibilité conformément aux dispositions du règlement sur les bâtisses. » (TA 30 juin 2004 n° 17206 du rôle); T.A., 5 novembre 2012 n° 28526 et 28527 du rôle).

 

Notons tout de même que la jurisprudence précitée s’inscrivait dans un contexte de règlementation urbanistique différent, puisque la distinction entre zone « nouveau quartier » regroupant des terrains à viabiliser, et zone « quartier existant », regroupant des terrains déjà viabilisés, n’existait pas. Il faisait alors encore du sens d’analyser au cas par cas si un terrain était viabilisé ou non, avant de permettre le morcellement de celui-ci. Tel est moins le cas depuis la nouvelle logique systémique.

 

Ceci étant dit, le bourgmestre ne pouvait donc refuser de délivrer l’autorisation de morcellement sollicitée que si soit les nouveaux lots à bâtir projetés après la division parcellaire s’avéraient inaptes à accueillir des constructions (en raison, par exemple, de dimensions trop petites que pour pouvoir bâtir en conformité avec les dispositions urbanistiques communales, telles que les marges de recul minimales imposées sur les limites de propriété, une largeur de façade minimale sur rue, etc., ou encore en raison du fait que les nouvelles parcelles ne seraient pas viabilisés, n’auraient pas d’accès direct à la voirie, etc., les constructions en deuxième position étant généralement interdites), soit si les nouvelles limites cadastrales projetées, tout en permettant la création de nouveaux lots aptes à accueillir de nouvelles construction, mettaient cependant en illégalité un bâtiment existant (tel serait le cas, par exemple, d’un morcellement qui tracerait une nouvelle limite de propriété vis-à-vis d’une maison existante, en laissant une distance de deux mètres entre cette limite et cette maison existante, alors que la règlementation imposerait un recul latéral minimal de 3 mètres).

 

Le bourgmestre avait dès lors en matière de morcellement, à l’instar de ce qui concerne les permis de construire, une compétence dite « liée ». Il ne pouvait refuser le morcellement que pour des motifs précis, tirés de la règlementation urbanistique communale, en suivant le principe « tout ce qui n’est pas interdit est permis ».

 

Par son jugement du 11 août 2021, le tribunal administratif cependant vient d’écarter cette thèse pour le « lotissement » (identique selon nous au morcellement) au sens de l’article 29 de la loi modifiée du 19 juillet 20014.

 

5. Le jugement de tribunal administratif du 11 août 2021, n° 44036 du rôle

 

L’affaire se passe à Junglinster. Un propriétaire sollicita auprès de l’autorité communale, le lotissement d’une parcelle en vue de la mise en place de deux constructions unifamiliales groupées en bande comportant chacune trois unités. Selon la règlementation urbanistique en vigueur, les maisons unifamiliales sont autorisées dans la zone. Il en est de même des maisons en bande. A priori, pas de problème donc.

 

Cependant, le conseil communal, statuant sur la demande de lotissement, rejeta celle-ci pour une foule de motifs :

« Considérant que ce projet de morcellement contient cependant quelques contraintes majeures à savoir :

• voie publique sans issue et espace de la rue existante très étroit ;

• le tissu urbain est empreint des maisons unifamiliales isolées ;

• la périphérie de la localité de Bourglinster ;

• urbanisation d'un côté seulement de la rue ;

• trottoir d'un mètre de largeur seulement ;

• pas d'emplacements de stationnement publics ;

• la forêt en face fait partie intégrante de la zone de protection  d'intérêt  national «Gréngewald  »  actuellement  en  procédure  réglementaire  ;  de  ce  fait,  une  urbanisation  de  l'autre côté de la rue n'est plus possible ;

• la canalisation d'eau mixte dans la rue Neuve est déjà surchargée ;

Considérant qu'en outre le projet est peu adapté au tissu urbain existant et implique une forte densification avec les volumes importants qui aura également un impact visuel sur l'environnement construit et le paysage en général ;

Considérant que finalement ledit projet risque de causer des ennuis au niveau de la circulation, du stationnement des véhicules et des infrastructures publiques actuellement en place (eaux usées...) ; ».

 

En cours d’instance, s’est nécessairement posée la question du bien fondé des motifs invoqués, non du point de vue de leur opportunité, mais du point de vue de le leur légalité. La partie requérante plaida que le conseil communal avait une compétence liée, tandis que l’autorité communale défendit l’idée que la compétence était discrétionnaire, la commune conservant, selon elle, la possibilité de recourir à des appréciations urbanistiques, tel que cela fut le cas en l’occurrence, lorsqu’elle est saisie d’une demande de lotissement.

 

Le tribunal administratif trancha entre les deux positions exprimées ci-avant, comme suit :

 

« Au vu  de l’agencement  de  la procédure  d’aménagement  urbanistique  communal ainsi   que   des   compétences   explicitement attribuées au conseil communal en matière d’élaboration d’un PAG respectivement d’un PAP QE ainsi que de celles attribuées au bourgmestre en matière de délivrance d’un permis de construire, force  est  de  constater  que le  conseil  communal  saisi d’une demande de lotissement  de  terrains  ne saurait en aucun cas empiéter sur sa propre compétence en matière d’approbation d’un PAG ou d’un PAP QE, ni, évidemment, sur celle du bourgmestre en matière d’autorisation de construire, mais doit se limiter à vérifier globalement et sommairement, d’une part, si les règles urbanistiques fixées par le PAG et le PAP QE sont respectées et, d’autre part, si les règles d’urbanisme s’imposant en vue de la délivrance  d’un  permis  de  construire  ne  s’opposent  pas  à  la  constructibilité   des parcelles nouvellement créées. Ce contrôle doit nécessairement inclure la vérification du respect des objectifs du PAG ainsi que du PAP QE par le lotissement de terrains envisagé.

 

La compétence du conseil communal en cette matière est donc certes restreinte, elle ne l’est tout de même pas au point d’être liée. Dès lors, le moyen de la partie demandeuse tirée du fait que le conseil communal serait tenu d’une compétence liée en matière de lotissement de terrains est à rejeter pour ne pas être fondé ».

 

Si la première partie du raisonnement des premiers juges des juridictions administratives ne prête pas le flanc à la critique, en revanche, nous sommes d’avis que le développement suivant lequel le contrôle à opérer par le conseil communal « doit nécessairement inclure la vérification du respect des objectifs du PAG ainsi que du PAP QE par le lotissement de terrains envisagé » doit être vivement combattu, alors qu’une telle interprétation laisse place à une marge d’appréciation discrétionnaire, risquant de mener à l’arbitraire, et générant par ailleurs une insécurité juridique hautement problématique pour le secteur de la construction. Ceci est d’autant plus vrai que les PAG et PAP QE forment une règlementation urbanistique, qui ne contient pas en elle-même une proclamation d’objectifs. Lesdits prétendus objectifs à vérifier au moment de la décision du conseil communal, sont dès lors en quelque sorte librement établis et défendus par le conseil communal à ce moment-là, sans que les administrés, et par la suite les juges, ne soient à même de les vérifier raisonnablement, ni ex ante ni ex post.  

 

Dans l’affaire précitée, les juges ont retenu par la suite qu’une série de motifs invoqués par le conseil communal n’étaient pas admissibles, tout en précisant cependant :

 

« Ces motifs constituent des considérations essentiellement urbanistiques que le conseil communal doit prendre en compte au niveau de la décision de l’opportunité d’inclure ou non les parcelles concernées dans une zone urbanisée et de l’affecter, le cas échéant, au logement, en d’autres termes au niveau de l’approbation du PAG ainsi que du PAP QE. Ces considérations ne relèvent dès lors a priori pas de la compétence du conseil communal saisi d’une demande de lotissement, étant toutefois précisé qu’à titre exceptionnel le conseil communal pourrait néanmoins être amené à tenir compte de considérations essentiellement urbanistiques, même si le projet de lotissement est a priori conforme aux règles urbanistiques en vigueur, dans l’hypothèse où la situation factuelle sur base de laquelle ont été adoptés le PAG ainsi que le PAP QE -tel qu’en l’occurrence le fait que le site litigieux se composait d’une seule parcelle cadastrale et n’accueillant qu’une seule maison unifamiliale-est foncièrement  modifiée  par  le  projet  de lotissement  dont  le  conseil  communal est  saisi. Dans cette hypothèse, le conseil communal saisi d’un projet de lotissement peut être amené à apprécier si les objectifs du PAG ainsi que du PAG QE sont respectés suite à la modification de la situation factuelle par le projet de lotissement. ».

 

 Ainsi, la volonté du tribunal administratif d’apporter des nuances, des compromis, des exceptions (probablement dans le soucis de conférer aux communes une marge de manœuvre en la matière, mais là n’est pas à notre avis le rôle du juge administratif, qui doit avant tout être le garant du respect de l’Etat de droit), a pour effet néfaste d’apporter de la confusion, de l’insécurité juridique et de planification pour les propriétaires fonciers ainsi que pour les acteurs de l’immobilier.

 

Le jugement du tribunal laisse par exemple la porte ouverte sur ce point à des refus de lotissement de pure opportunité politique, alors même que la règlementation urbanistique communale récemment établie permettrait le projet de lotissement soumis au conseil communal (ainsi que les constructions projetées par la suite sur les nouveaux lots). Etant donné que le contrôle des motifs de type politique par le tribunal administratif s’opère à la marge, le jugement laisse ainsi la porte ouverte à n’importe quel type de motif de refus de lotissement, tel qu’on les connait déjà dans la pratique : la réalisation de certains projets immobiliers étant politiquement considérés comme indésirables (pour des raisons compréhensibles parfois, mais aussi parfois moins nobles), alors même que la règlementation urbanistique édictée par la commune les permet.  

 

Imaginons un PAP QE qui admet les maisons jumelées. Le propriétaire d’un terrain accueillant une maison unifamiliale souhaiterait démolir sa construction et diviser ensuite son terrain en deux pour réaliser deux maisons jumelées, par exemple, pour ses deux enfants. Sous l’angle du jugement précité, le conseil communal pourrait « exceptionnellement » motiver sa décision de refus et valablement s’y opposer (en soulevant un prétendu problème d’intégration dans le voisinage, une topographie inadaptée, ou l’on ne sait quelle autre raison), alors même que les nouvelles places à bâtir seraient parfaitement conformes à la règlementation urbanistique et aptes à accueillir de nouvelles constructions également 100% conformes à la règlementation.

  

Pour revenir au jugement précité, les juges sont finalement venus à la conclusion que le refus de lotissement par le conseil communal était valablement motivé par la circonstance que, selon les seules affirmations de la commune, a priori, « «la canalisation d’eau mixte dans la rue » desservant les terrains devant faire l’objet du lotissement « est déjà surchargée ». Le tribunal estima que cette affirmation serait « non contesté à suffisance par la partie demanderesse » (mais comment le pourrait-elle si la commune se contente de son côté d’affirmer que six logements supplémentaires auraient un effet de saturation sur la canalisation existante sur préciser ces propos par une expertise fondée sur des éléments rationnels, techniques, vérifiables ?).

 

Au-delà de ce basculement contestable de la charge de la preuve, les premiers juges ont selon nous appliqué foncièrement à tort l’article 2 de la loi modifiée du 19 juillet 2004 concernant l’aménagement communal et le développement urbain (et non pas une disposition du PAG ou du PAP QE !!) pour justifier le refus de lotissement :

 

« Or, dans la mesure où la question de l’évacuation des eaux usées relève de la salubrité et de l’hygiène publiques, dont la commune a la mission de garantir le respect, en application de l’article 2 (f) de la loi du 19 juillet 2004 et dans la mesure où le bourgmestre n’accorde aucune autorisation de construire, notamment, tant que les travaux d’équipements publics nécessaires à la viabilité de la construction projetée ne sont pas achevés, le conseil communal a valablement pu considérer que les règles d’urbanisme en vue de la constructibilité des nouvelles parcelles issues du projet de lotissement n’étaient pas respectées et, ainsi, refuser la demande de lotissement lui soumise au motif que l’évacuation des eaux résiduaires et pluviales risquerait de ne plus être garantie pour le projet de lotissement litigieux ».

 

Au-delà de la question portant sur l’étendue de la compétence du conseil communal en matière de division d’un terrain en plusieurs lots, en exécution d’un PAP QE (qui ne peut être que liée), la conclusion des premiers juges comporte plusieurs erreurs de raisonnement sur ce dernier point.

 

Tout d’abord, nous sommes d’avis que l’article 2 de la loi ne s’applique pas aux lotissements de terrains en PAP QE.

 

Si le PAG doit être conforme aux objectifs d’aménagement communal prescrit à l’article 2 (« Le plan d’aménagement général a pour objectif la répartition et l’implantation judicieuse des activités humaines dans les diverses zones qu’il arrête aux fins de garantir le développement durable de la commune sur base des objectifs définis par l’article 2 de la loi. – article 6 de la loi. « Avant de statuer, le ministre vérifie la conformité et la compatibilité du projet de plan d’aménagement général avec les dispositions de la loi, et notamment les objectifs énoncés à l’article 2 (…) – Article 18 de la loi »), de même pour les PAP (article 30) il n’est prescrit nulle part que le lotissement de terrain lui-même devrait être conforme auxdits objectifs (et encore moins à de prétendus objectifs fixés par les PAP et PAG qui n’existent tout simplement pas) !

 

Ensuite, un lotissement de terrain (compris dans le sens uniquement de division de terrains déjà viabilisés, en plusieurs lots à bâtir) n’est pas une opération urbanistique. Il appartient à la commune de fixer ses règles d’urbanisme au niveau des PAG et PAP QE et elle ne peut contredire ou refuser d’appliquer sa propre règlementation urbanistique en s’opposant ex post à un lotissement pourtant conforme aux règlements d’urbanisme qu’elle a elle-même édicté, sous peine de violer le principe de bonne administration, de sécurité juridique et de confiance légitime !

 

Il est, dans l’affaire précitée, à ce propos étonnant que les juges aient laissé entendre que les « objectifs » du PAG et du PAP QE de la zone d’habitation 1 s’opposeraient à la réalisation de maisons unifamiliales en bande sur les terrains lotis, alors même que la règlementation les permets expressément…

 

Finalement, le raisonnement des juges ci-avant cité tombe encore à faux dans la mesure où précisément dans le cas d’espèce, les infrastructures de viabilisation du terrain destiné à être loti étaient a priori existantes. Le reproche formulé par l’administration communale n’était en effet pas que le rue desservante n’était pas équipée en canalisation, mais que la canalisation mixte en question n’avait prétendument pas une capacité suffisante pour gérer les eaux usées supplémentaires en provenance de six nouveaux logements (ce qui n’est somme toute, et a priori, pas substantiel).

 

Or, à ce sujet, il faut rappeler qu’il appartient à la commune d’effectuer les travaux d’entretien, réparation, d’amélioration ou de remplacement des infrastructures publiques, dont les canalisations : « Les frais occasionnés par la réparation, la réfection ou le remplacement de la voirie ou d’un équipement existant vétuste ou inadapté ne peuvent être mis à la charge des propriétaires des fonds desservis, sauf si les travaux en question permettent la création de nouvelles places à bâtir, ou de nouvelles unités affectées à l’habitation ou toute autre destination, auquel cas la commune peut exiger une participation aux frais de la part des propriétaires dont les fonds sont dorénavant constructibles. » (article 24 de la loi). Aussi, nous sommes d’avis qu’à supposer que si par impossible une commune était admise à refuser un lotissement au motif qu’une canalisation ne serait pas adaptée pour le projet, quod non, (en pouvant le prouver évidemment), cette dernière risquerait d’engager sa responsabilité car elle a légalement la charge de l’entretien et du remplacement des infrastructures publiques vétustes.

 

La loi du 19 décembre 2008 relative à l’eau va également dans ce sens puisqu’elle énonce :

 

« Art. 46. Assainissement des agglomérations, élimination des eaux urbaines résiduaires collectées et gestion des eaux pluviales

 

(1) Les communes sont tenues d’assurer la collecte, l’évacuation et l’épuration des eaux urbaines résiduaires et la gestion des eaux pluviales dans les zones urbanisées ou destinées à être urbanisées conformément au plan d’aménagement général. Elles sont tenues de concevoir, de construire, d’exploiter, d’entretenir et de surveiller les infrastructures d’assainissement faisant partie de leur territoire, selon les règles de l’art en tenant compte des meilleures techniques disponibles. Les activités d’entretien et de surveillance à l’exception de l’exploitation peuvent être sous-traitées à des entreprises spécialisées. (…) ».

 

Il nous paraît donc douteux, sur ces bases, qu’une administration communale, responsable de la construction, de l’exploitation et de l’entretien des infrastructures d’assainissement, et responsable de l’établissement des règles d’urbanisme applicables sur son territoire, puisse refuser un lotissement de terrain conforme à ces mêmes règles d’urbanismes, au motif que les canalisations, dont elle a elle-même la charge, seraient prétendument insuffisantes…

 

Par le passé, le tribunal administratif s’était à notre avis montré plus clairvoyant concernant l’application des objectifs prescrits à l’article 2 de la loi précitée :

 

« Il résulte de cette disposition légale que le législateur a confié une mission générale aux communes consistant à veiller au respect de l’intérêt général de leurs habitants, cet intérêt général se traduisant en ce qui concerne l’aménagement communal et le développement urbain, par une mise en valeur harmonieuse, ainsi que par un développement durable de toutes les parties du territoire communal.


Or, si la mise en valeur harmonieuse et le développement durable visés au prédit article 2 constituent certes des objectifs de la loi sur l’aménagement communal et le développement urbain, ils ne sauraient cependant constituer, à défaut de concrétisation par voie réglementaire, des critères per se auxquels chaque construction, considérée isolément, doit répondre pour pouvoir être autorisée » (T.A., 31 mars 2014, n° 32152, confirmé par C.A., 13 novembre 2014, n° 34521C).

 

Ce raisonnement est, à notre estime, transposable en matière de lotissement de terrain, car il ne s’agit là non plus pas d’élaborer une règlementation urbanistique sur base d’objectifs jugés d’intérêt général par l’autorité politique, mais bien de statuer sur une demande précise et limitée à un ou plusieurs terrains donnés, pour adopter un acte administratif individuel en exécution d’une règlementation urbanistique préalablement établie.

 

A notre connaissance, appel a été interjeté à l’encontre du jugement précité. Affaire à suivre donc.

 

Me Sébastien COUVREUR

Avocat à la Cour

 

 

 

 

 

 

Retour sommaire