Droit immobilier

Les 7 péchés capitaux du ministère de l’Environnement

Les 7 péchés capitaux du ministère de l’Environnement

 

La loi du 18 juillet 2018 réformant la législation antérieure (loi du 19 janvier 2004) concernant la protection de la nature, qui devait être le fer de lance de la politique environnementale confiée au parti « Dei greng », s’avère après cinq années d’application, constituer un échec cuisant.

 

Ce constat s’impose non seulement en raison des dispositifs parfois excessivement stricts figurant dans la loi de 2018, lesquels ne laissent pas place à une flexibilité pour des projets en faveur de la protection de l’Environnement, mais encore et surtout en raison des interprétations rigides desdits textes par le ministère de l’Environnement, sans lien avec les objectifs de protection de la nature qui devraient pourtant guider le traitement de chaque dossier.

 

Nous abordons ci-après ce que nous considérons comme les « 7 péchés capitaux » du ministère de l’Environnement :

 

1. L’instauration d’une méfiance grandissante envers le citoyen et les politiques locales


La protection de l’Environnement, de la biodiversité, la lutte contre le réchauffement climatique sont des enjeux fondamentaux et majeurs du 21ème siècle et nous concernent tous. Il est dès lors capital que les mesures prises en vue d’assurer la sauvegarde de ces intérêts recueillent une adhésion large de la part des citoyens, ce qui nécessite qu’elles soient justes, adéquates, proportionnées et efficaces.

 

Pourtant, ces dernières années, l’administré a été toisé avec une méfiance toute particulière. La plupart des projet soumis à autorisation du ministère de l’Environnement, et même ceux en faveur de l’Environnement (agriculture extensive par des agriculteurs/maraîchers exerçant à temps partiel ou à titre accessoire, création de biotopes et d’habitats, rénovation d’immeubles disgracieux, etc.) voire ceux portés par les administrations communales pour des motifs d’utilité publique (chemins de mobilité douce, réaménagement d’un chalet en zone verte, régularisation de situations existantes dans les PAG, etc.), sont examinés avec une circonspection excessive et bloquante. Plutôt que de rechercher la collaboration avec l’administré et les autorités locales, le ministère de l’Environnement s’en tient à une lecture littérale des textes et instruit les dossiers à charge pour rechercher systématiquement l’argument qui permettrait de refuser le projet plutôt que de l’autoriser. Le nombre de refus de projets de rénovation ou de transformation de constructions existantes en zone verte (modification des ouvertures dans la façade, rehaussement pour raisons de performance énergétique, réagencement des volumes, etc.) voire de reconstruction partielle (suite à des incendies ou autres cas de force majeure) sans incidence aucune sur l’Environnement a explosé, entrainant un contentieux important, inutile voire même contreproductif pour l’adhésion des citoyens au droit de la protection de l’Environnement.

 

Beaucoup d’énergie a été également dépensée dans la répression des citoyens ayant commis, souvent à leur insu, des infractions de gravité négligeables (comme la suppression de broussailles sur une pelouse sèche pour y installer des moutons) alors que les grandes atteintes à l’Environnement (pollutions diverses des eaux, du sol et de l’air, dépôts sauvages de déchets,  perte de biodiversité dans les zones urbaines, lutte contre les émissions de gaz à effet de serre) n’ont semble-t-il pas constitué des sujets prioritaires (le projet de loi n° 7237 sur la protection des sols et la gestion des sites pollués est par exemple toujours immobilisé à la Chambre des Députés depuis son dépôt en date du 26 janvier 2018).

 

Enfin, alors que l’accès à l’information et la participation du public au processus décisionnel constituent des piliers fondamentaux du droit de la protection de l’Environnement, la collaboration entre le ministère et les personnes intéressées par la protection de certains sites riches en faune et flore protégée est mise de côté au nom de la prétendue ignorance des concernés (voir par ex T.A., 24 janvier 2019, n° 42171 du rôle). La participation du public est d’ailleurs évitée au maximum, que ce soit en matière de création de nouvelles zones protégées d’intérêt national ou encore en matière de zones de protection des sources.

 

2. Une lourdeur administrative infernale qui étouffe l’administration, immobilise les projets, et épuise les forces vives sur des questions totalement accessoires


La loi du 18 juillet 2018 a imposé la nécessité d’une autorisation ministérielle pour une foule de travaux et d’actions aux conséquences absolument négligeables pour la protection de la nature, ce qui a entrainé une quasi-paralysie du ministère et des délais de procédure extrêmement longs pour le traitement des demandes. Il n’est ainsi pas rare d’attendre plusieurs mois voire plusieurs années pour obtenir une décision définitive quant à des demandes d’une complexité a priori banale (par exemple, demande d’abattage de deux arbres compensés par la plantation de deux autres) ou pour des projets en principe autorisables (rénovation de fermes ou logements agricoles par des exploitants agricoles à titre principal). Bon nombre de petits travaux pourraient être dispensés d’autorisation ou soumis à un mécanisme de simple déclaration (par exemple, rénovation d’une toiture, travaux à l’intérieur d’un immeuble en zone verte, etc.). Pire, ces petits travaux sans incidence sur les intérêts protégés par la loi (remplacement des dalles d’un chemin d’accès par de nouvelles dalles en pierre naturelles sans joints, création d’un chemin en concassé, installation d’un abri de jardin en bois non traité, destruction-reconstruction d’un arbi en bois pour la gestion d’un verger, installation d’une ruche, d’une clôture en bois non traité, etc.) conduisent la plupart du temps à des refus, puis par la suite des recours qui paralysent d’autant plus l’action administrative. Des changements d’affectation des constructions existantes en zone verte, devraient pouvoir être également autorisés s’ils ne portent nullement atteinte aux intérêts protégés en zone verte (par exemple, des gîtes ruraux qui permettraient de reconnecter les citoyens – et en particulier les citadins – avec la nature, étant donné que l’on protège mieux ce que l’on apprend à apprécier).

 

3. Une interprétation littérale des textes et totalement « hors sol »


Alors que la Cour administrative a insisté dans plusieurs arrêts récents sur la nécessité que les administrations fassent preuve de « bon sens » et appliquent le principe constitutionnel de la proportionnalité (« Sous tous ces aspects,  en-deçà  de  la  question  de  la  protection  du  droit  de  propriété,  les dispositions strictes des articles 6 et 7 de la loi du 18 juillet 2018, telles qu’applicables aux moments pertinents pour le cas d’espèce, en ce qu’aucune adaptation de l’enveloppe existante n’est permise suivant les termes de la loi prise à sa lettre, contrevient à toute idée de durabilité, voire de garantie du développement humain voire encore du respect des droits naturels de l’humain de profiter de manière adéquate de sa construction utilitaire située en zone verte, de manière à pouvoir l’adapter aux exigences du temps. Ces considérations appellent une application adéquate et mesurée du principe de proportionnalité, d’autant plus qu’elles ne feraient ni du sens, ni ne correspondraient au bon sens si elles étaient appliquées à la lettre. » C.A., 20 juillet 2022, n° 47128C), le ministère de l’Environnement se borne à une interprétation littérale et « hors sol » des textes applicables, qu’il s’agisse de la question de la constructibilité en zone verte, ou encore de la question de la protection des biotopes et habitats d’espèces protégées. Si la nécessité de protection de la biodiversité, de la faune et de la flore est une évidence scientifique, en revanche, l’application des textes par le ministère a de quoi laisser perplexe. Ainsi, par exemple, considérer un champ exploité à des fins intensives (pesticides, …) par un agriculteur comme habitat d’une espèce protégée (Milan, chauve-souris, …) au seul motif que lesdites espèces survolent ledit champ, en imposant dès lors au promoteur des mesures couteuses d’atténuation environnementales (ayant une incidence directe sur les prix de vente des logements) est une absurdité, alors que les jardins qui seront créés à la suite du lotissement concerné auront une valeur environnementale bien supérieure au champ exploité intensivement.

 

4. Le fantasme d’une dichotomie idyllique entre la zone verte et la zone constructible


La vision du ministère de l’Environnement consiste à opérer une distinction claire et fondamentale entre une zone verte qui consisterait une sorte d’Eden fantasmé au sein duquel il faudrait limiter drastiquement toute intervention humaine (hormis l’agriculture intensive qui détruit les paysages et la biodiversité), et la zone constructible au sein de laquelle l’Environnement n’aurait qu’une place marginale au travers de la protection des biotopes et habitats (article 17 et 27 de la loi). La protection rigide des biotopes dans les zones urbanisées ou destinées à être urbanisées et les conséquences pénales qui se dégagent de la destruction de tels biotopes (un arbre isolé peut déjà être considéré comme biotope protégé selon le règlement grand-ducal du 8 juillet 2022 modifiant le règlement grand-ducal du 1er août 2018 établissant les biotopes protégés, les habitats d’intérêt communautaire et les habitats des espèces d’intérêt  communautaire) a eu une incidence tout à fait contreproductive en ce sens que les propriétaires fonciers se voient très fortement incités à éviter, par une tonte régulière de leurs terrains, toute naissance de biotope sur ceux-ci, car ils seront ultérieurement pénalisés (il se peut même que les terrains soient reclassés en zone verte sur cette base) s’ils laissent de tels biotopes se développer. Au lieu d’inciter les propriétaires et promoteurs à promouvoir des quartiers verts, ou à laisser se développer de la végétation sur les terrains à bâtir en attendant qu’un projet ne soit autorisé, la législation actuelle force ces derniers à éviter tout développement de structures naturelles, ce qui est éminemment contraire aux objectifs de lutte contre le réchauffement climatique (phénomènes de surchauffe à l’intérieur des localités) et de protection de la biodiversité au sein des localités.

 

5. Le prélèvement de taxes environnementales sans réelles plus-values pour la protection de la nature


Le mécanisme du paiement de taxes environnementales compensatoires sous forme d’éco-points (l’on parle parfois de plusieurs centaines de milliers d’euros pour certains projets immobiliers) dont les montants sont censés être réinvestis par l’Etat dans des « pools compensatoires » situés en zone verte, n’est pas satisfaisant. Ce mécanisme d’une part ne promeut pas le développement d’écoquartier (il n’y a guère, ou à tout le moins pas suffisamment, d’incitations à la compensation environnementales sur le site du projet immobilier) et les mesures environnementales réalisées par l’Etat demeurent discrètes et éloignées des citadins qui n’en bénéficient donc pas directement. Les mesures en faveur de l’Environnement devraient trouver un ancrage plus local et plus proche du citoyen, et les communes devraient être d’avantage associées au processus. 

 

6. Absence de vision globale


La loi sur la protection de la nature et son application par le ministère de l’Environnement manquent foncièrement de vision globale. Alors que beaucoup pourrait être mis en œuvre dans une démarche incitative et non répressive (voire une combinaison des deux approches), par exemple en vue l’initiation de grands projets environnementaux – dont la population pourrait profiter sous des aspects les plus divers – tels que les projets de renaturation, des projets d’extensification agricole et des projets d’aménagement écologique en milieu urbain (qui ne sont plus développés depuis un certain nombre d’années), le ministère reste cantonné à des applications particulières. Des sujets d’avenir sont quasi inexistants dans les débats : agriculture urbaine (hormis la publication d’une étude intitulée « stratégie nationale urban farming », aucun dispositif n’a été mis en place pour inciter ou lever les barrières notamment urbanistiques en la matière), toitures et façade végétalisées, réintégration de la biodiversité au sein des tissus urbains, aménagement des jardins en zone constructible, généralisation des panneaux solaires, lutte contre le scellement excessif du sol en zone urbaine, etc.

 

7.  Une approche finalement totalement contreproductive

 

Toute l’approche du ministère de l’Environnement, résumée ci-avant, génère de plus en plus de problème d’adhésion des citoyens et des entreprises aux mesures de protection de l’Environnement, comme l’épinglait à juste titre le MOUVECO dans son avis sur le projet de loi n° 7477 portant modification de la loi du 18 juillet 2018 concernant la protection de la nature et des ressources naturelles : « il est indispensable de remédier aux lacunes [de la loi] puisque celles-ci donnent naissance à des problèmes d’acceptation auprès de larges couches de la population, ou entraînent un prolongement inutile de procédure, ou encore ne favorisent la protection des espèces et de la biodiversité ».

 

Il nous semble que les problématiques ci-avant soulevées trouvent malheureusement leur source dans des changements assez profondément ancrés dans le fonctionnement du ministère de l’Environnement : la rigidité voulue dans l’application des textes eux-mêmes rigides et parfois contraires aux objectifs de la loi, a réduit la marge de manœuvre des fonctionnaires de l’administration, en premier lieu des préposés forestiers et les ingénieurs de l’ANF qui sont désormais réduits à devoir remplir des formulaires plutôt qu’à accompagner les demandeurs d’autorisation dans la conception de leurs projets. Or, la protection de la nature a tout autant besoin de technicien qui comprennent la nature évolutive de l’environnement que de juristes qui s’assurent du respect des textes en vigueur. Une meilleure protection de l’Environnement étant l’affaire de tous, nous espérons que la remise en cause nécessaire de la législation afférente – mais aussi du fonctionnement du ministère – pourra répondre aux attentes de toutes les parties impliquées.

 

Me Sébastien COUVREUR et Me Jean-Claude KIRPACH

Détails d'un article publié au Luxemburger Wort le 9 septembre 2023

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