Droit immobilier

Deuxième modification de la loi concernant la protection de la nature

Deuxième modification de la loi concernant la protection de la nature

 

La loi du 18 juillet 2018 concernant la protection de la nature et des ressources naturelles, déjà modifiée une première fois par une loi du 3 mars 2022, subira une deuxième modification par un projet de loi n° 8142 adopté par la Chambre des Députés en sa séance du 21 juillet 2023.

 

D’après l’exposé des motifs et le rapport de la commission de l’environnement le projet de loi aurait un triple objectif :

-      intégrer les enseignements de la jurisprudence de la Cour administrative aux règles applicables aux constructions légalement existantes ou assimilées en zone verte,

-      favoriser l’assainissement thermique des constructions et plus généralement l’adaptation des constructions aux standards actuels,

-      finalement de diminuer les obligations administratives, le tout en garantissant un niveau élevé de protection de l’environnement naturel.

 

Les principales modifications concernent l’article 7 concernant les constructions existantes en zone verte (1) et l’ajout d’une liste d’installations non comprises dans la définition de construction (2). Les modifications mises en œuvre par le projet de loi sont cependant insuffisantes pour résoudre les problèmes qu’a générés l’interprétation excessivement restrictive de la loi de 2018 par les services du ministère de l’Environnement (3).

 

I. La modification de l’article 7 concernant les constructions existantes en zone verte


1. Existence légale

 

Une première modification concerne l’exigence que la construction existante doit être légalement existante. La loi de 2018 prévoyait que le requérant doit prouver que la construction soit avait été dûment autorisée, soit avait été érigée avant 1965, année de l’entrée en vigueur de la première loi concernant le protection de la nature.

 

On peut s’imaginer qu’il était difficile pour les requérants de retrouver les vieux documents, surtout lorsqu’il s’agissait d’une construction dont l’actuel propriétaire n’était pas le constructeur.

 

Le projet de loi du Gouvernement proposait que les constructions érigées avant le 1er juillet 1995 étaient à considérer comme assimilées aux constructions légalement existantes, en motivant ce choix par le fait qu’à partir de cette date fonctionnait un archivage électronique des demandes.

 

Le Conseil d’Etat a cependant considéré qu’il ne s’agissait pas d’un critère objectif et rationnel. En effet, les constructions érigées sans autorisation avant le 1er juillet 1995 et celles érigées sans autorisation après cette date se trouvent dans des situations comparables. La régularisation des seules constructions érigées sans autorisation avant le 1er juillet 1995 soulèverait la question du respect du principe de l’égalité devant la loi.

 

Voilà pourquoi le Conseil d’Etat a proposé de prendre comme critère le délai de l’action publique, en vertu de l’article 77 paragraphe 6 de la loi du 18 juillet 2018, aux fins de rétablir les lieux dans leur pristin état. A l’issue du délai de forclusion pour une telle action, qui est fixée à cinq ans par l’article 638 du Code de procédure pénale, une mesure sanction n’est plus de mise.

 

Les constructions érigées sans autorisation sont donc dorénavant assimilées aux constructions légalement existantes après écoulement du délai de prescription de 5 ans.

 

2. Le changement d’affectation

 

D’après la loi de 2018 aucun changement d’affectation d’une construction existante en zone verte n’est autorisé, s’il n’est pas compatible avec les affectations prévues à l’article 6 de la loi, c’est à-dire des activités agricoles, horticoles, maraîchères, sylvicoles viticoles, piscicoles apicoles cynégétiques ou qui comportent la gestion de surfaces proches de leur état naturel.

 

Le nouveau projet de loi dispose que le changement d’affectation, global ou partiel, peut être autorisé si la nouvelle affectation est conforme à une des affectations prévues à l’article 6 :

 

(3) Un changement d’affectation global ou partiel d’une construction existante visé au paragraphe 2, point 1°, est autorisé si la nouvelle affectation est conforme à une des affectations prévues à l’article 6.

 

A part l’admission de la notion de changement d’affectation partiel, il n’apparaît pas en quoi consisterait la modification.

 

Dans son projet de loi la ministre de l’Environnement énonce que « il est possible de changer l’affectation d’une construction non légalement existante en zone verte en changeant son affectation vers une affectation compatible avec les affectations prévues à l’article 6. A titre d’exemple une cabane illégalement existante en zone verte pourrait changer l’affectation pour en faire une cabane de chasse dans le respect des conditions de l’article 6, paragraphe 1er, point 5 ».

 

Il s’agit d’un exemple sans aucune importance pratique.

 

D’après la ministre de l’Environnement la grange doit donc soit rester une grange, soit être transformée en un autre bâtiment agricole telle qu’une étable ou un hangar à machines. A la rigueur pourrait-elle être changée vers une autre affectation prévue à l’article 6, telle que par exemple une affectation maraîchère ou sylvicole. Cela ne constitue aucun changement par rapport à l’ancienne loi. Il ne fallait pas une nouvelle loi pour arriver à de telles constatations.

 
 

Pourtant la ministre affirme dans son projet de loi que cette disposition permettrait de garantir la durabilité des constructions existant depuis de longue date, critère soulevé par la jurisprudence de la Cour administrative, et permettrait de réutiliser un espace construit et potentiellement réutiliser des matériaux de construction.

 

Il convient cependant de relever que la Cour administrative n’avait pas envisagé un cas de figure si marginal, comme celui auquel se réfère le Gouvernement, mais avait exprimé sur ce point une vision beaucoup plus large.

 

En effet, le vrai problème des constructions en zone verte est celui que la législation ne permet pas de nouvelles utilisations des anciens bâtiments agricoles désaffectés. Au lieu de les laisser tomber en ruines, il y aurait moyen de les utiliser pour développer le tourisme écologique, les gites ruraux, mais aussi des formes de logement ou même d’activités compatibles avec le milieu naturel, surtout lorsqu’il s’agit d’anciens bâtiments économiques de fermes. Pourtant comme la loi de 2018, le  nouveau projet de loi ne prévoit qu’une seule exception dans ce sens qui concerne les constructions classées sur la base de la législation sur le patrimoine naturel. Mais même les bâtiments ne méritant pas un tel classement pourraient faire l’objet d’une reconversion utile à maints égards.

 

Le Conseil d’Etat a également demandé la suppression de la mention que « une construction peut avoir plusieurs affectations ». D’après le commentaire des articles « un exemple d’une construction qui a plusieurs affectations serait une ancienne ferme avec une dépendance directement accessible depuis la maison d’habitation et qui sert de grange. Dans cet exemple la ferme aurait comme affectation l’habitation et la grange aurait comme affectation une activité agricole. Si le propriétaire souhaitait pour une telle construction transformer la grange pour lui donner une autre affectation, seule une affectation qui serait conforme aux affectations prévues à l’article 6 serait possible aux termes du présent article ».

 

L’exemple cité met en évidence le manque de compréhension du ministère de l’Environnement pour le monde rural. Une ferme est normalement composée de plusieurs bâtiments d’économie (« Wirtschaftsgebäude ») et d’une maison d’habitation. La ferme dans son ensemble a une affectation agricole. La maison d’habitation de la ferme a elle aussi une affectation agricole, car elle sert directement l’exploitation agricole. La distinction que fait le commentaire des articles, selon laquelle la maison d’habitation ne servirait qu’à l’habitation sans lien avec l’affectation agricole ne tient pas compte des réalités sur le terrain.

 

Une difficulté paraît résulter de la lecture combinée du paragraphe (2) de l’article 7 qui concerne le changement d’affectation et du paragraphe (5) qui concerne la modification de l’aspect extérieur.

 

Au sujet de ce paragraphe (5), le commentaire des articles fournit l’explication suivante :

 

« Ici sont visées toutes les constructions légalement existantes, c’est-à-dire aussi bien celles qui servent à l’habitation que celles qui ne servent pas à l’habitation.

 

Contrairement à l’actuelle législation, tous travaux de rénovation à l’intérieur de ces constructions, y compris à l’extérieur, sont désormais possibles sans autorisation ministérielle s’ils n’emportent pas de changement à l’aspect extérieur de ces constructions et s’ils n’engendrent pas de modifications des dimensions, c’est-à-dire agrandissements ou réductions.

 

En effet, les paragraphes 2, 5 et 6 limitent désormais l’obligation de solliciter une autorisation ministérielle aux changements à apporter à l’aspect extérieur des constructions et aux changements des dimensions. Dès lors, une simple rénovation qui n’emporte ni changement à l’aspect extérieur ni modification des dimensions d’une construction n’est plus soumise à autorisation du ministre ».

 
 

La commission de l’Environnement affirme même à la page 2 de son rapport que « ainsi pour les constructions légalement existantes ou assimilées les rénovations et aménagements intérieurs ainsi que le changement des locaux intérieurs sans distinction d’affectation ne seront désormais plus soumis à une autorisation ».

 

Il faut supposer que le terme « sans distinction d’affectation » signifie « sans changement d’affectation », et non pas que l’affectation ne serait pas à prendre en considération, donc qu’un changement d’affectation serait possible, s’il n’y a pas de modifications extérieures. Sinon il faudrait en déduire que l’aménagement intérieur (donc pas seulement la rénovation à l’intérieur) à des fins d’habitation d’un bâtiment d’économie agricole désaffecté est possible sans autorisation, s’il n’emporte pas de changements extérieurs.

 

S’il ne faut pas le comprendre de cette manière, le texte comporte une contradiction entre le paragraphe (2) et le paragraphe (5).

 

En effet si tout ce qui ne comporte pas une modification de l’aspect extérieure peut être exécuté sans autorisation du ministre, donc tout ce qui se fait à l’intérieur, et non seulement les rénovations mais aussi les aménagements, comme le précise le commentaire des articles, il faut noter que certains de ces aménagements de l’intérieur (sans modification de l’extérieur) pourraient comporter un changement d’affectation (par exemple aménagement d’un logement dans un ancien bâtiment d’économie agricole désaffecté). Selon le paragraphe (5) cet aménagement à l’intérieur serait possible sans autorisation, alors que d’après le paragraphe (2) il faudrait quand-même une autorisation puisqu’il s’agit d’un changement d’affectation.

 

Le fait que la loi n’ait pas prévu de modifications plus fondamentales au niveau des possibilités de changement d’affectation, est certes préjudiciable aux propriétaires de telles constructions, mais est surtout contreproductif pour la protection de la nature (possibilité d’amélioration des constructions) et pour le développement durable (réutiliser le bâti existant au lieu de construire du neuf), donc contreproductif par rapport aux objectifs de la loi.

 
 

L’introduction de la notion d’un changement d’affectation partiel n’améliore en rien la situation.

 

3. L’agrandissement

 

En se référant aux jurisprudences de la Cour administrative 20 juillet 2022 n°47027, le projet de loi prévoit que désormais seraient autorisables des agrandissements des pièces vers le haut ainsi que des agrandissements pour des raisons d’assainissement thermique. Dans son exposé des motifs la ministre est d’avis que cette modification serait de nature à donner satisfaction à l’exigence de la Cour administrative que les maisons d’habitation puissent être adaptées aux standards actuels.

 

Il faut cependant relever que la jurisprudence concernait effectivement un cas où le requérant demandait de pouvoir relever son toit de quelques cm, mais elle s’exprime très clairement en faveur du respect du principe de proportionnalité en général. Il y a de nombreux points où les constructions existantes en zone verte peuvent nécessiter des adaptations en vue d’améliorer leur habitabilité (adaptations aux besoins familiaux, maintien de personnes âgées dans leurs lieux d’habitation, etc.) sans que ces interventions n’engendreraient le moindre préjudice pour la nature ou le paysage. Toutes ces attentes, pourtant conformes à la jurisprudence, resteront ainsi insatisfaites.

 

L’approche restrictive de la ministre de l’Environnement se manifeste aussi par la disposition selon laquelle « un agrandissement de l’emprise au sol reste uniquement possible pour des maisons d’habitation sur un site d’exploitation agricole autorisées sur base de l’article 6 ».

 

Il faut donc souligner qu’il n’y a aucune ouverture par rapport au texte actuel.

 

En ce qui concerne les maisons d’habitation dans une ferme le problème fondamental n’est pas l’agrandissement d’une maison d’habitation, mais l’ajout de logements pour la famille et pour le personnel, respectivement le changement d’un bâtiment d’économie en une habitation, ou encore la cessation d’activité de l’exploitation agricole. Avec maintien de l’ancien exploitant ou de sa famille (héritiers, descendants et ascendants) dans les lieux, problèmes non abordés par le projet de loi.

 

Pour les constructions servant au logement, une augmentation de la surface d’emprise au sol est encore autorisable s’il s’agit de constructions autorisées en vertu de l’article 6 (donc de constructions agricoles ou assimilées) ou bien si l’agrandissement sert à l’assainissement thermique des façades et du toit.

 

Il faut s’attendre à ce que ministère ne changera pas sa manière excessivement restrictive d’interpréter la loi, comme il l’a fait dans le passé, et considérera l’ajout d’un balcon, d’une terrasse, d’une pièce, d’un chemin d’accès, d’un car port, d’un garage, de fenêtres, etc., comme un agrandissement non prévu par la loi.  Le ministère ne veut donc toujours pas tenir compte du fait que la majeure partie des constructions existantes en zone verte ne sont pas des constructions agricoles, mais des maisons d’habitation. Il faut notamment penser à toutes celles qui se trouvent dans des zones ayant fait partie de l’agglomération lors de leur création, mais reclassées en zone verte au cours des dernières années sur initiative du ministère de l’Environnement (par exemple les extensions tentaculaires).

 

Pour les propriétaires de telles maisons (et ils sont nombreux), ces petites modifications seraient importantes pour améliorer leur qualité de vie quotidienne dans une maison ancienne. Il convient d’ailleurs de rappeler que la Cour administrative avait souligné dans ses arrêts le principe que chaque citoyen devrait avoir le droit d’adapter sa maison aux standards actuels. Enfin il convient de noter que ces agrandissements d’envergure minime n’ont aucun effet négatif sur le paysage. Bien au contraire certains agrandissements peuvent être en faveur de l’intégration paysagère (p.ex. ajoute sous forme d’un abri en bois à pente unique adossé à la construction principale).

 

4. La modification de l’aspect extérieur

 

Le paragraphe (5) du nouveau projet de loi a l’énoncé suivant : « Une modification de l’aspect extérieur visée au paragraphe (2) point 4 est autorisée par le ministre si la construction est légalement existante en zone verte ou assimilée au sens du paragraphe 1er et si la modification de l’aspect extérieur est compatible avec les objectifs de l’article 1er »

 

Dans le commentaire des articles, il est expliqué au sujet du paragraphe 5, que « contrairement à l’actuelle législation, tous travaux de rénovation à l’intérieur de ces constructions, y compris à l’extérieur, sont désormais possibles sans autorisation ministérielle s’ils n’emportent pas de changement à l’aspect extérieur et à l’extérieur sont possibles sans autorisation s’ils n’emportent pas de changement à l’aspect extérieur et s’ils n’engendrent pas de modifications des dimensions.

 

La question se pose cependant si une rénovation à l’extérieur peut se faire sans changer automatiquement l’aspect extérieur (p.ex. la simple réfection de la façade ou une nouvelle peinture des volets).

 
 

Dans le commentaire des articles la ministre a rendu attentif au problème de la délimitation de la rénovation par rapport à la reconstruction par exemple partielle d’une construction. Il faut donc s’attendre probablement à des difficultés d’interprétation de la part du ministère.

 

Le texte du projet de loi prévoit que la modification de l’aspect extérieur doit être compatible avec les objectifs de l’article 1er. Dans le commentaire des articles la ministre informe que « un projet de modification extérieure d’une construction légalement existante sera analysé avant tout par rapport à l’objectif de protection de paysages naturels et à l’objectif de protection des espèces et de leurs habitats ».

 

Il est vrai que l’article 1er mentionne les « paysages et espaces naturels », mais ce terme peut induire en erreur, car l’ensemble de la loi vise non pas la protection du paysage naturel (paysage qui existerait sans l’homme), mais le paysage traditionnel (paysage formé par l’homme marqué par l’équilibre entre l’homme et la nature, à la différence du paysage moderne). Il faut espérer que le ministère, lors de son interprétation, tienne compte de cette nuance importante : le paysage, tel qu’il est conçu par la loi, peut comporter des constructions, et peut même être amélioré par des constructions (ajout d’un appentis en bois à une construction existante, construction servant à l’entretien d’un verger, construction devenant un biotope).

 

Cette référence aux objectifs de l’article 1er est à priori une approche positive. On s’attendrait à une interprétation plus positive de la loi, par exemple, lors de certaines modifications, comme l’apposition d’un revêtement en bois non traité ou l’ajout d’un garage sous forme d’appentis en bois non traité, qui seraient susceptibles de rehausser le caractère rural de la construction principale, et correspondraient ainsi à l’objectif de l’intégration paysagère.

 

Mais le ministère ne donne à nouveau que des exemples négatifs : « pour l’appréciation de l’objectif de protection des espèces et de leurs habitats la pollution lumineuse … sera un élément important ainsi que la protection des espèces protégées. Ainsi par exemple la présence sous un toit d’une colonie de chiroptères pourra avoir une incidence sur la modification des dimensions, de la hauteur, de la forme d’un toit ». Au lieu de montrer ce qui dorénavant serait possible sans problèmes et ce qui serait susceptible d’alléger la procédure d’autorisation, le ministère ne fait que souligner ce qui sera utilisé comme argument pour refuser l’autorisation. La menace d’un traitement plus sévère de la demande d’autorisation lors de la présence de chiroptères confirme une attitude caractéristique du ministère : il pénalise les citoyens qui se sont engagés pour la cause de la protection de la nature (en l’occurrence les propriétaires qui ont toléré les chauves-souris dans leur grenier).

 

La commission de l’Environnement estime dans son rapport que le fait que les modifications intérieures ne soient plus soumises à l’autorisation du ministre aurait pour but d’alléger les charges administratives pour les administrés. Cela dépendra de la manière dont les fonctionnaires du ministère interpréteront les nouvelles dispositions.

 
 

Ainsi sera-t-il, par exemple, intéressant de voir si le ministère exigera une autorisation pour l’ajout d’une fenêtre ou d’une porte, souhait de nombreux propriétaires pour adapter leur construction aux standards actuels.

 

En effet le seul élément d’une construction, qui détermine son apparence paysagère, est son gabarit. Nos paysages ruraux sont caractérisés par les volumétries de granges de la plupart de constructions.  L’aménagement de la façade, cependant, n’est que peu importante au point de vue paysager (en dehors de l’exigence d’un certain rapport pleins-vides).

 

Il en est de même pour l’augmentation du nombre de logements à l’intérieur d’une construction restante inchangée à l’extérieur ou de l’aménagement d’un logement à l’intérieur d’un bâtiment agricole désaffecté. Ce genre d’interventions devrait être accepté sans autorisation préalable, car il est sans effet sur les valeurs à protéger.

 

 5. La reconstruction

 

Le projet de loi dispose que « une reconstruction … peut être autorisée par le ministre si … les murs extérieurs subsistent jusqu’à la hauteur de la corniche sur la majorité des côtés de la construction.

 

Dans le commentaire des articles il est expliqué que « ce critère a comme objectif principal de permettre de reconstruire des constructions qui ne sont pas encore en état de ruine avancé et pour lesquelles on peut encore déceler au moins en partie leur aspect extérieur originaire au niveau des emplacements des fenêtres et des portes. Ceci permet en même temps d’assurer une meilleure appréciation de l’aspect extérieur originaire par l’administration en vue d’une reconstruction à l’identique ».

 

Ce texte et les explications y relatives constituent les vestiges de la volonté initiale du ministère d’interdire toute reconstruction en zone verte, volonté qui visait le but idéologique de faire disparaître toutes les constructions en zone verte à l’exception des constructions agricoles ou assimilées, c’est-à-dire de faire de la zone verte une zone non-aedificandi. Le ministère s’est vu obligé d’y apporter une première modification en 2022 et doit corriger une deuxième fois un an après.

 

Pourtant la condition concernant la subsistance des murs extérieurs et des emplacements de fenêtres constitue un nouvel essai de rendre la reconstruction aussi difficile que possible, pour correspondre au mieux au but idéologique de la zone verte en tant que zone non-aedificandi (alors que  la Cour administrative avait clairement énoncé que la zone verte n’était pas à considérer comme telle).

 

 Ce critère générera une multitude de conflits au niveau de l’interprétation par l’administration.

 

La loi stipule par ailleurs que « une autorisation portant dérogation à l’alinéa 1er est accordée … dans le cas où une construction … a été détruite par un cas fortuit. Le propriétaire de la construction détruite rapporte la preuve que la destruction est due à un cas fortuit ».

 

Dans le commentaire des articles il est affirmé que cette nouvelle disposition permettrait « de rendre compte de la jurisprudence de la Cour administrative du 10 mars 2022 n° 46378C du rôle qui a jugé que les constructions détruites par cas de force majeure peuvent toujours et indépendamment de l’existence d’un texte légal être reconstruites, ceci sur base du principe d’équité et du principe constitutionnel de proportionnalité »

 

Dans le commentaire des articles le ministère souligne que « le délai de deux ans pour une reconstruction en cas de force majeure qui avait été introduit par la loi modificative du 3 mars 2022 a également été abandonné afin de respecter ladite jurisprudence ».

 

L’article 7 paragraphe (7) du projet de loi prévoit que « la reconstruction est réalisée à l’identique, … et l’affectation de la construction est identique à la dernière affectation ».

 

Ainsi est supprimée enfin la disposition de la loi de 2018 qui prévoyait que la reconstruction était à assimiler avec une construction nouvelle et devait par conséquent servir à une affectation agricole, disposition qui aboutissait à des résultats absurdes : ainsi la reconstruction d’un chemin piétonnier menant de la rue vers la porte d’entrée d’une maison était assimilée à la réalisation d’une nouvelle construction, qui elle devait servir à une affectation agricole. Pourtant ni la maison ni le chemin piétonnier n'avaient jamais servi à une fonction agricole. Dorénavant la reconstruction n’est donc plus assimilée à une construction nouvelle, et n’est donc plus liée à une affectation agricole, mais à la dernière affectation de la construction.

 

Enfin le commentaire des articles retient que « les constructions … qui sont éventuellement dans un mauvais état, mais pour lesquelles les travaux envisagés ne nécessitent pas une véritable reconstruction, pourront faire l’objet de travaux de rénovation, qui ne sont pas soumis à autorisation du ministre ».

  

Il faut s’attendre que cette remarque, qui se veut probablement exprimer une ouverture, engendrera de nouveaux problèmes au niveau de l’interprétation. Il faudra décider si un projet correspond à une rénovation ne nécessitant pas d’autorisation, une rénovation nécessitant une autorisation (par exemple parce que l’aspect extérieur est changé) ou à une reconstruction.

 

6. Ancienne formulation de la loi de 2004 

 

En conclusion de ce qui précède, il faut se demander s’il n’aurait pas été préférable de revenir à l’article 10 de la loi de 2004, qui avait l’avantage d’être simple à comprendre et à appliquer: « les constructions existantes situées dans la zone verte ne peuvent être modifiées extérieurement, agrandies ou reconstruites qu’avec l’autorisation du Ministre ».

 

Il est vrai que ce texte présupposait une interprétation sur le terrain par les préposés forestiers en collaboration avec le requérant sur la base du bon-sens. L’acceptation d’une telle démarche aurait cependant présupposé une confiance dans le citoyen. Depuis 2018 le ministère de l’Environnement préfère cependant traiter les demandes d’autorisation « ex cathédra, c’est-à-dire à partir de son bureau, sans consultation préalable des administrés intéressés » comme la Cour administrative l’a critiqué dans son arrêt du 12 mai 2022 n° 46929C du rôle.

 

7. La définition de la construction

 

Le nouveau projet de loi soumet une nouvelle version de la définition de la construction : « tout aménagement, bâtiment, ouvrage et installation comprenant un assem­blage de matériaux reliés ensemble artificiellement de façon durable, incorporé ou non au sol, à la surface ou sous terre. L’annexe 9 liste les constructions qui ne sont pas comprises dans la notion de construction. »

 

Il s’avère cependant que la seule modification réside dans l’ajoute de l’annexe 9.

 

Le nouveau projet de loi n’apporte donc toujours pas de distinction entre une nouvelle construction et un simple élément constitutif d’une construction existante. Ainsi le chemin d’accès vers le garage et vers la porte d’entrée – ou d’autres éléments purement accessoires, tels des perrons, terrasses, soutènements, etc. - ne devraient-ils pas être considérés comme des nouvelles constructions (soumis à l’article 6 et partant à l’exigence d’une affectation agricole ou similaire), mais comme des éléments constitutifs de la construction existante, la maison d’habitation (qui n’a aucun lien avec l’agriculture), et donc soumis à l’article 7 et l’affectation actuelle de la construction existante.

 

Il est vrai que le nouveau projet de loi comporte une minime ouverture dans la mesure où certaines clôtures ne sont plus considérées comme des construction soumises à autorisation. Dans le nouveau projet de loi, l’installation d’une clôture n’est pas simplement rayée en tant que comportement incriminé, comme le bon sens l’aurait suggéré, mais elle figure désormais sur une liste, qui est nouvellement introduite et qui mentionne des installations non comprises dans la définition de la construction  (voir ci-après).

 

II. Liste des installations non comprises dans la définition de la construction

 

En ce qui concerne le principe, il convient d’abord de saluer l’introduction d’une telle liste, qui a été proposée depuis longtemps.

 

Malheureusement dans le présent projet de loi, la liste ne comporte que  des éléments, dont il est de l’évidence même et du bon-sens élémentaire, qu’il ne s’agit pas de constructions, et qui ne devraient pas être mentionnés ni dans la liste ni dans la loi.

 

En effet, le principal élément mentionné dans la liste sont les clôtures. Dans aucune loi concernant la protection de la nature les clôtures n’avaient été considérées comme constructions nécessitant une autorisation préalable, et cela pour cause. En effet les clôtures constituent respectivement génèrent des biotopes très importants, et cela même pour les clôtures non composées de poteaux en bois. En installant une clôture le requérant procède donc à la création d’un biotope pour laquelle une autorisation n’est pas requise (même sans la liste). D’ailleurs d’après la définition même de la construction qui est donnée à l’article 3 point 26° de la loi de 2018 la plupart des clôtures rurales ne sont pas une construction parce qu’elles ne sont pas constituées d’un « un assemblage de matériaux reliés ensemble artificiellement de façon durable ».

 

Au lieu de renoncer à mentionner les clôtures, le projet de loi y insiste en distinguant 3 types de clôtures et en prévoyant pour chacune d’elles une multitude de petits détails à respecter.

 

Mais la liste mentionne en plus une série d’autres installations qui ont encore moins de raisons pour s’y retrouver. En effet, il s’agit d’éléments aux dimensions minimales, qui par conséquent n’ont aucun effet négatif sur la protection de la nature ou du paysage : serres tunnel servant à l’activité maraîchère, les abris érigés temporairement en temps de canicule pour protéger les animaux de pâturage, les râteliers amovibles, les ruches, les nichoirs et perchoirs, etc. Ces installations sont utilisées depuis toujours sans aucun problème. Il faut se demander pourquoi réglementer dans des domaines qui ne soulèvent aucun problème.

 

Alors que la liste comporte des mentions superflues et inefficaces, elle ne prévoit pas les éléments qui auraient pu apporter un réel soulagement pour les requérants :

 

-      les constructions susceptibles de devenir des biotopes si l’entretien est suffisamment extensif, par exemple les surfaces en concassé ou en pavés/dalles avec joints ouverts (places, chemin, terrasses, parking, etc.) et certains murs (notamment les murs en maçonnerie sèche),

 

-      les petites constructions en bois servant à l’exploitation de surfaces proches de l’état naturel et ne dépassant pas certaines dimensions (par exemple abri pour l’exploitation d’un verger, abris pour animaux d’une taille modeste, etc.).

 

III. Problèmes non résolus

 

Au-delà des critiques exposées ci-dessus, il faut regretter que le ministère de l’Environnement n’ait pas voulu profiter de cette deuxième modification de la loi de 2018 pour aborder une série de problèmes de fond :

 

-      réintroduction du recours en réformation (qui était prévu dans toutes les lois concernant la conservation de la nature et qui a été aboli en 2018),

 

-      modification de la réglementation des biotopes urbains (biotopes temporaires), la réglementation actuelle étant préjudiciable à la protection de la nature en milieu urbain,

 

-      modification de la réglementation de la compensation in situ, la réglementation actuelle est préjudiciable à la protection de la nature en milieu urbain,

 

 -      modification de l’article 6 pour favoriser davantage les petites exploitations agricoles, gérées à temps partiel et à titre non professionnel (la réglementation actuelle ne favorisant que les exploitations agricoles industrielles),

 

-      développement d’une conception plus moderne de l’exploitation agricole englobant notamment le tourisme écologique (l’utilisation à des fins de tourisme écologique de constructions existantes en zone verte, respectivement de bâtiments agricoles existants devrait être considérée comme une activité agricole au sens de l’article 6, de nouvelles constructions nécessaires pour le tourisme écologique devraient pouvoir être autorisées dans la zone verte),

 

-      modification de la définition de la notion de « construction » donnée à l’article 3 point 26°, permettant de ne plus considérer comme construction autonome certains éléments constitutifs de la construction principale,

 

 -      introduction de la possibilité de créer des logements dans les fermes pour les membres de la famille de l’exploitant et pour le personnel y travaillant,

 

-      les constructions nécessaires à la sensibilisation environnementale permettant d’établir un contact entre la population urbaine de la société actuelle avec la nature (chemins sur pilotis en bois permettant l’accès du public à des zones humides ou des rénaturations de cours d’eau, des cabanes d’observation, des huttes didactiques pour classes d’élèves et adultes, etc), devraient être considérées d’utilité publique,

 

-      simplification de la procédure d’autorisation (réduction du nombre d’exemplaires de la demande, réduction des données à fournir, diminution du délai d’instruction, etc.)

 

IV. Conclusions :

 

Le projet de loi n’essaie même pas d’apporter une solution aux   problèmes réels et sérieux, auxquels sont confrontés les citoyens depuis l’entrée en vigueur de la loi de 2018.

 

Le législateur continue à insister sur des petits détails, qui n’ont aucun effet sur la protection de la nature et du paysage, mais qui ne font que harasser le citoyen.

 

Au niveau fondamental, le commentaire des articles met en évidence que le ministère maintient sa conception que la zone verte est une zone non aedificandi. Pourtant la Cour administrative a clairement expliqué que tel n’était justement pas le cas. Voilà pourquoi le ministère considère de manière générale que les constructions existantes en zone verte constituent des éléments dépourvus de raison d’être dans la zone verte, hormis quelques exceptions concédées de dure lutte (exploitations agricoles intensives principalement). Pourtant toutes les versions de la loi sur la protection de la nature ont prévu deux articles séparés pour les constructions agricoles et assimilées d’un côté et les constructions existantes de l’autre côté. Le nouveau projet de loi est, comme la loi de 2018, est fondé sur les visions idéologues de la zone verte, qui ne correspond pas à l’histoire du développement du pays, ni aux réalités sur le terrain.

 

Le ministère montre avec ce projet de loi qu’il n’a toujours pas compris que dans un pays comme le Luxembourg la protection de la nature ne se fait pas prioritairement par la conservation, imposée par une approche répressive (sanctions pénales), mais par la création de nouvelles valeurs environnementales, c’est-à-dire l’aménagement écologique et paysager, dans la zone verte mais aussi dans les espaces urbains qui sont totalement délaissés actuellement, ce qui ne peut être mis en œuvre qu’en collaboration avec le citoyen.

 

 

Me Jean-Claude KIRPACH – Avocat et ancien chef du service de la conservation de la nature de l’ANF

Me Sébastien COUVREUR, Avocat à la Cour, Partner

 

 

 

Retour sommaire