Droit immobilier

La transparence administrative


Loi du 14 septembre 2018 relative à une administration transparente et ouverte

 

Ce 1ier janvier 2019, est entré en vigueur la loi du 14 septembre 2018, relative à une administration transparente et ouverte.

 

Cette loi, comme le laisse entendre son intitulé, souhaite faciliter l’accès, pour toute personne physique ou morale,  aux documents détenus par l’administration. La loi parle véritablement de droit d’accès aux documents.

 

1.       Quel(s) bénéficiaire(s) ?

 

La loi n’établit pas de différence suivant les demandeurs. Ainsi, l’article 1ier accorde un droit d’accès aux documents à toutes les personnes physiques ou les personnes morales.

 

Dans son projet de loi, le Gouvernement explique qu’il ne peut y avoir de distinctions entre différentes catégories de demandeurs, et décide ainsi de consacrer l’égalité de tous en matière d’accès[1].

 

Précision importante, le demandeur n’a pas à justifier d’un quelconque motif à la base de sa demande. Il n’y a donc pas lieu de démontrer un intérêt à obtenir ledit document.

 

2.      Quel(s) pouvoir(s) public(s) ?

 

L’article 1ier (1) de ladite loi énumère les autorités publiques concernées par cette obligation.

 

Il s’agit :

 

-          Des administrations et services de l’Etat,

-          Les communes,

-          Les syndicats de communes,

-          Les établissements publics placés sous la tutelle de l’Etat ou sous la surveillance des communes,

-          Les personnes morales fournissant des services publics,

-          La chambre des Députés, 

-          Le Conseil d’Etat,

-          Le médiateur,

-          La Cour des comptes,

-          Les chambres professionnelles.

 

3.      Quel(s) document(s) ?

 

Les documents visés sont ceux qui sont  détenus par les administrations et services de l’Etat, les communes, les syndicats de communes, les établissements publics placés sous tutelle de l’Etat ou sous sa surveillance des communes ainsi que les personnes morales fournissant des services publics, dans la mesure où les documents sont relatifs à l’exercice d’une activité administrative.

 

La loi ne définit par cette notion.

 

Ne sont, en tout cas, pas visés les documents qui ne se rapportent pas à la gestion d’une activité administrative, tels que par exemples des documents qui se rapporteraient à la gestion d’une activité industrielle ou commerciale qui seraient exercées par un établissement public à caractère industriel ou commercial. Ne sont pas non plus visés les documents qui relèvent de procédures judiciaires[2].

 

Ainsi que nous l’avons déjà souligné, la loi ne précise pas exactement, malheureusement, ce qu’il faut entendre par des documents à caractère administratif qui se rapportent à la gestion d’une activité administrative. Cette notion n’est d’ailleurs définie nulle part dans le droit luxembourgeois. Le Conseil d’Etat, partant, souligné que l’application pratique de cette disposition pourrait être source de difficultés[3].

 

Cette notion apparaît beaucoup plus large que celle d’acte ou décision administrative élaborée dans la loi du 7 novembre 1996 et dans la jurisprudence administrative.

 

Ainsi, dès lors que la loi étudiée ne précise pas plus avant cette notion, nous sommes d’avis – pour autant que les autres conditions de la loi soient remplies – que les documents qui peuvent être communiqués doivent être compris dans un sens très large. Ainsi, seraient communicables, par exemples, les avis des organes consultatifs tels ceux des Commissions des bâtisses, d’aménagement, etc.

 

Ceci serait d’ailleurs conforme aux objectifs de la loi qui veut inciter la mise en œuvre d’une politique de transparence et d’ouverture de l’administration.

 

L’accès n’est, d’ailleurs, pas limité aux seuls documents qui existent sur support papier. En effet, la loi expose que lesdits documents doivent être communiqués quel que soit leur support[4]. Il peut donc s’agir, par exemples, de texte écrit, de photographies, de courriels, d’informations stockées sur un support électronique[5], etc.

 

Il y a lieu de ne pas confondre le document à caractère administratif ainsi réclamé en tant que tel, avec la décision de refus – ou d’acceptation – de communication, laquelle serait, elle, a priori une décision administrative.

 

4.      Les exceptions

 

Le principe de la communication des documents souffre – évidemment – d’exception. Il s’agit d’éviter la communication de documents dont la divulgation porterait atteinte à certains intérêts publics ou privés fondamentaux[6].

 

Ainsi, nous indique l’article 1ier (2) de ladite loi, sont toutefois exclus du droit d’accès les documents relatifs :

 

- aux relations extérieures, à la sécurité du Grand-Duché de Luxembourg ou à l’ordre public ;

- à la sécurité des personnes ou au respect de la vie privée ;

- au déroulement des procédures engagées devant les instances juridictionnelles, extrajudiciaires ou disciplinaires ou d’opérations préliminaires à de telles procédures ;

- à la prévention, à la recherche ou à la poursuite de faits punissables ;

- à des droits de propriété intellectuelle ;

- à un secret ou une confidentialité protégés par la loi ;

- aux missions de contrôle, d’inspection et de régulation des organismes visés au paragraphe 1er ;

- au caractère confidentiel des informations commerciales et industrielles communiquées aux organismes visés au paragraphe 1er ;

- à la capacité des organismes visés au paragraphe 1er de mener leur politique économique, financière, fiscale et commerciale si la publication des documents est de nature à entraver les processus de décision y relatifs ;

- à la confidentialité des délibérations du Gouvernement.

 

Etant donné que l’accès aux documents constitue la règle générale, les motifs d’exceptions doivent s’interpréter de façon restrictive[7].

 

 

5.      Forme de la demande et délai de communication

 

La demande de document doit revêtir la forme d’un écrit.

 

Elle doit être formulée de façon suffisamment précise et contenir les éléments permettant d’identifier ledit document ainsi réclamé[8]

 

Le document réclamé doit être mis à la disposition du demandeur, hors cas d’exception, dans les meilleurs délais et au plus tard dans le mois qui suit la réception de la demande[9].

 

En cas de demande trop générale, l’organisme sollicité doit inviter le demandeur, au plus tard dans le mois qui suit la réception de la demande, à préciser sa demande.

 

Le  délai de communication peut être prolongé d’un mois dans des cas spécifiques, énumérés à l’article 5 (2), tel que par exemple lorsque le volume et la complexité des documents demandés sont conséquents, ou encore lorsque le document fait l’objet d’un dépôt aux Archives nationales.

 

 

6.      Une procédure de révision interne

 

En ce qui concerne les voies de recours contre les décisions refusant l’accès à un document, il a été instauré – à l’instar de la France et de la Belgique – une procédure de révision interne par mise en place d’une Commission d’accès aux documents.

 

Il s’agit d’une voie de recours qui se voudra « rapide et gratuite qui devrait permettre de réduire le nombre de recours en justice »[10].

 

La loi expose que toute personne qui se voit opposer une décision refusant de faire droit à la communication d’un document peut saisir la Commission. Elle doit le faire dans le mois de la notification de la décision. La Commission statue par voie d’avis consultatifs. Ceux-ci ne revêtent donc aucun caractère décisionnel et ne s’imposent pas à l’administration. Lorsqu’elle est saisie, la Commission d’accès aux documents communique son avis au demandeur et à l’organisme concerné dans les deux mois de sa saisine[11]. La loi ne prévoit nullement l’hypothèse dans laquelle la Commission ne remettrait pas son avis endéans ce délai. Nous sommes d’avis que l’administré n’a pas à subir les carences des administrations. Si la Commission ne respecte pas le délai lui imparti, l’administré devrait pouvoir saisir les juridictions administratives sans attendre l’avis de la Commission.

 

Si la Commission est d’avis que le document doit être communiqué, et que l’organisme décide de suivre cet avis il doit le rendre accessible dans le mois à partir de la réception dudit avis. En cas d’absence de communication dans le mois, l’organisme est réputé avoir rejeté la demande et ce refus est susceptible d’un recours en réformation devant le Tribunal administratif dans un délai de trois mois[12].

 

Si la Commission est d’avis que ledit document sollicité n’est pas communicable, l’organisme est tenu de confirmer son refus dans un délai d’un mois à partir de la réception dudit avis. Cette notification fait commencer le délai de recours en réformation devant le Tribunal. Lorsque l’autorité ne prend pas de décision de confirmation du refus, le délai de recours commence à courir à l’expiration d’un mois à partir de la date de la réception de l’avis de la Commission d’accès aux documents[13].

 

L’autorité administrative reste donc libre de suivre sauf dans une curieuse hypothèse : si la Commission est d’avis que le document sollicité n’est pas communicable, l’autorité administrative doit, suivant la loi, confirmer son refus. Elle ne peut le rétracter sur base de la motivation formulée par l’administré. La loi est sur ce point contraire aux règles régissant le retrait des décisions administratives par leur auteur.

 

7. Un recours facultatif ou un préalable obligatoire ?


Il se pose la question de savoir si la lettre de saisine de la Commission doit être considérée comme un recours facultatif ou comme un recours préalable obligatoire organisé par un texte. Cette question n’est pas réglée par la loi.

 

Le commentaire de l’article concerné, dans les travaux préparatoires, explique que cette procédure de révision interne serait une « alternative préalable possible à un recours en justice »[14]. Selon toute vraisemblance, ce recours interne serait donc à considérer comme facultatif.

 

Cependant, les travaux préparatoires exposent, pour rappel, que la procédure devant la Commission d’accès aux documents a pour objectif de réduire le nombre de recours en justice.

 

Il n’est dès lors pas impossible que les juridictions administratives considèrent, à l’instar de la solution retenue en matière de plans d’aménagement, que le passage par la procédure administrative précontentieuse est une condition nécessaire pour la recevabilité de l’action ultérieure devant ces dernières (voir notamment, par analogie, C.A., 5 juillet 2018, n° 40866C du rôle).

 

Pour éviter tout risque d’irrecevabilité du recours contentieux, nous conseillons dès lors de saisir la Commission de tout refus de communication d’un document administratif. Ce n’est qu’en cas de refus réitéré par l’administration, suite à ce premier passage précontentieux, qu’un recours devrait être introduit devant le tribunal administratif, qui statuera comme juge du fond (réformation). Le fait que la loi n’évoque un recours que contre cette décision confirmative (et non contre la décision de refus initiale) tend à indiquer qu’un recours contentieux avant la saisine de la Commission ne serait pas recevable.

 

8. Quid en cas d’absence de réponse suite à la demande de communication de documents administratifs ?


Reste à savoir si l’absence de réponse dans le mois de la part de l’autorité initialement sollicitée en vue de la communication du document est à considérer, ou non, comme un refus implicite de communication, susceptible de recours devant ladite Commission.

 

Assez étonnement, l’article 10 de la loi ici analysée expose que « à la lettre de saisine doit être jointe la décision de refus de communication du document demandé ».

 

Ceci laisse à penser qu’en cas d’absence de décision de l’autorité dans le mois de la demande de communication, aucun recours ne sera susceptible d’être fait devant ladite Commission d’avis. La pratique à venir nous dira quelle sera la position de la Commission en pareils cas.

 

Nous sommes néanmoins d’avis que le demandeur pourra saisir la Commission en cas de refus implicite de communication du document administratif. La Commission pourra en tout état de cause remettre un avis quant à bien-fondé de la demande formulée par l’administré.

 

Une autre possibilité, si l’on part du postulat que le passage via la saisine de la Commission n’est pas, a priori, un recours préalable à un recours juridictionnel, serait d’introduire un recours contre ce « refus implicite » devant les juridictions administratives en vertu de l’article 4 de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, au risque sinon de faire perdre toute utilité à ladite loi en cas de carence de la part de l’administration. A nouveau, la pratique future nous dira ce qu’il en est en pareilles hypothèses.

 

9. Dernières précisions


Il est important de savoir qu’une disposition transitoire a été insérée dans la loi. Celle-ci dispose que l’obligation de publication, telle que prévue par ladite loi, ne s’applique pas pour les documents qui ont été créés avant l’entrée en vigueur de la loi.

 

Ainsi, pour le demandeur qui souhaiterait obtenir un document créé avant le 1ier janvier 2019, la base à invoquer – s’il en existe une – sera à trouver ailleurs que dans ladite loi ci-avant étudiée[15], comme par exemple la procédure administrative non-contentieuse ou encore la loi du 25 novembre 2005 concernant l'accès du public à l'information en matière d'environnement.

 

Même s’il existe certaines zones d’ombre – explicitées ci-avant –  la nouvelle loi a le mérite de vouloir permettre un meilleur accès à l’information aux administrés, lesquels pourront plus facilement obtenir les documents qui fondent l’activité administrative. Ceci tend vers une politique plus transparente de l’administration. Ces objectifs fondamentaux de la loi devront être pris en considération pour régler les questions que la pratique fera naître, dont certaines ont été esquissées par le présent article.

 

 

Par Me Elie DOHOGNE - Avocat au Barreau de Namur
Me Sébastien COUVREUR - Avocat à la Cour au Barreau de Luxembourg



[1] Chambre des députés, projet de loi relative à une administration transparent et ouverte, session ordinaire 2014-2015, n° 680, 28.05.2015, p. 6.

[2] Avis du Conseil d’Etat du 28.02.2017 – Projet de loi n° 6810 (5) session ordinaire 2016-2017 du 21.03.2017, p. 2.

[3] Avis du Conseil d’Etat du 28.02.2017 – Projet d loi n° 6810 (5) session ordinaire 2016-2017 du 21.03.2017, p. 3.

[4] Article 3 de ladite loi.

[5] Chambre des députés, projet de loi relative à une administration transparent et ouverte, session ordinaire 2014-2015, n° 680, 28.05.2015, p. 6.

[6] Chambre des députés, projet de loi relative à une administration transparent et ouverte, session ordinaire 2014-2015, n° 680, 28.05.2015, p. 6.

[7] Chambre des députés, projet de loi relative à une administration transparent et ouverte, session ordinaire 2014-2015, n° 680, 28.05.2015, p. 6.

[8] Article 4 de ladite loi.

[9] Article 5 (1) de la loi.

[10] Chambre des députés, projet de loi relative à une administration transparent et ouverte, session ordinaire 2014-2015, n° 680, 28.05.2015, exposé des motifs, p. 2.

[11] Article 10 (2) de la loi.

[12] Article 10 (3) de la loi.

[13] Article 10 (4) de la loi.

[14] Chambre des députés, projet de loi relative à une administration transparent et ouverte, session ordinaire 2014-2015, n° 680, 28.05.2015,  p. 9.

[15] Voy. not. la Convention d’Aarhus sur l’accès à l’information, la participation du public au processus décisionnel et l’accès à la justice en matière d’environnement

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