Droit immobilier

Vers une règlementation « Airbnb » au Luxembourg ?


Vers une règlementation « Airbnb » au Luxembourg ?


A l’instar d’autres pays européens, le Luxembourg n’échappe pas, depuis plusieurs années déjà, au phénomène « Airbnb ». Pour d’aucuns, la plateforme communautaire est un outil alternatif aux traditionnelles agences de voyage, aux sites proposant des hôtels, des auberges ou des gîtes, et permet d’avoir une relation directe avec un particulier,  en vue de louer un logement pour un séjour de courte ou de moyenne durée. Il peut s’agir pour ces utilisateurs, de faire une bonne affaire. Pour certains propriétaires, la plateforme permet de dégager des revenus accessoires en mettant en location, par exemple au cours de leurs vacances, leurs biens immobiliers occupés en principe toute l’année. Parfois encore, la location de logements via le portail « Airbnb » répond à une véritable stratégie commerciale, certains ayant constaté que ce type de location de logement pour des séjours de courte durée était plus rentable qu’un bail à loyer classique. Dans cette dernière hypothèse, le recours systématique et habituel à la location de courte durée soulève de nombreuses questions, que l’on analysera ci-après.

 

Ainsi tout d’abord, ce type d’activité rentre directement en concurrence avec le secteur de l’Horesca, avec les interrogations légitimes que cela génère du point de vue de la différence de régime juridique qui existe entre l’une et l’autre de ces activités.

 

Ensuite, une concurrence est également créée, sur fond de pénurie de logement au Luxembourg, entre la location d’immeuble d’habitation (bail à loyer classique) et la location à répétition pour des périodes de courte durée via le site « Airbnb ».

 

La location via le portail « Airbnb » pose également des questions en termes de conformité vis-à-vis de la règlementation urbanistique communale : Le propriétaire est-il admis à subdiviser son logement pour y louer séparément plusieurs chambres voire plusieurs unités de logement ? Peut-il louer séparément les étages d’une maison d’habitation unifamiliale ? Doit-il disposer d’une nombre suffisant d’emplacements de stationnement ? Faut-il solliciter auprès de l’administration communale une autorisation de changement d’affectation ?

 

Finalement, la location systématique d’un ou plusieurs logements via le portail « Airbnb » - activité pouvant générer des revenus substantiels – pose question du point de vue de la fiscalité.

 

Ces différentes questions n’ont pas échappé au monde politique.

Ainsi, dans une question parlementaire du 5 septembre 2018, le Député Léon Gloden a soulevé certaines de ces interrogations dans le contexte de l’implantation de la plateforme « Airbnb » sur le marché Luxembourgeois.

 

En réponse auxdites questions, le ministre de l’Economie a pris position, de manière assez générale, en indiquant qu’une étude a été engagée sur le thème plus global de l’économie de partage, et que les conclusions de cette étude, attendues pour le premier trimestre de 2019, « devrait permettre de définir les options et recommandations politiques, stratégiques et réglementaires nécessaires pour encadrer l’économie de partage au Luxembourg ».

 

Si des questions similaires se posent effectivement pour l’économie de partage de manière générale, (par exemple le phénomène « Uber »), qui visent principalement des problématiques fiscales, du droit du travail ou de la sécurité sociale, respectivement des problématiques de concurrence potentiellement déloyales en raison de différences de régime juridique (par exemple, pour Uber, entre les chauffeurs Uber et les chauffeurs de taxi), le cas « Airbnb » apporte néanmoins des interrogations spécifiques dès lors qu’il s’inscrit dans le contexte du droit de l’urbanisme et de la problématique de l’accès au logement.

 

Aussi convient-il d’analyser de manière plus spécifique le cas « Airbnb ».

 

Il y a lieu de relever que le Luxembourg est quelque peu à la traine sur le sujet. Certains pays, régions, ou villes ayant, suivant leurs compétences respectives, d’ores et déjà adapté leurs réglementation pour prendre en considération ce phénomène et ses implications.

 

Contrairement à ces pays, notamment la France, les locations « Airbnb » ne relèvent pas de règlementations spécifiques.

 

Ce type de location reste cependant soumis au respect d’un ensemble de règles que l’on reprendra, de manière non-exhaustive, ci-après.

 

Ainsi tout d’abord, suivant la loi du 24 juin 2008 ayant pour objet le contrôle des voyageurs dans les établissements d'hébergement, « Quiconque héberge une personne dans un établissement d'hébergement collectif ou hébergement touristique privé devra remplir ou faire remplir une fiche pour toute personne hébergée » (article 1er).

 

La décision de la Commission européenne du 9  décembre 1998 relative  aux  procédures  d'application  de  la  directive  95/57/CE  concernant  la collecte  d'informations  statistiques  dans  le  domaine  du  tourisme [notifiée  sous  le  numéro  C(1998)  3950] considère comme « hébergement touristique privé » notamment les « Chambres  louées  dans  des  logements  familiaux » à des touristes ou encore les « Logements  loués à des  particuliers  ou  à  des  agences  professionnelles ».

Dès lors, les « logeurs Airbnb » sont en principe tenus au respect de la disposition précitée.

 

La loi prévoit également que « Le logeur est obligé de communiquer à la Police grand-ducale la fiche d'hébergement concernant les personnes hébergées, aux fins de la prévention, de la recherche et de la constatation des infractions pénales » (article 3). Finalement, « les originaux des fiches d'hébergement doivent être présentés à toute réquisition aux agents de la Police grand-ducale » (article 5).

 

Une infraction à la disposition précitée est passible d’une amende de 25 à 250 euros. Il s’agit – certes – d’une amende relativement dérisoire eu égard aux bénéfices que peuvent générer ce type de location.  

 

Ensuite la loi modifiée du 17 juillet 1960 portant institution d’un statut de l’hôtellerie comporte un article 18 qui énonce ce qui suit :

 

«  G. - Des logeurs particuliers.

Art. 18.

Nul particulier ne peut héberger habituellement contre payement des voyageurs s'il n'a pas fait enregistrer ses chambres par l'administration communale de la situation des chambres ».

Suivant l’article 21 de la loi précitée « les infractions aux articles 7, 18, 19 et 20 seront punies d'une amende de 50 à 500 francs ».

 

Aussi, quoique la sanction pécuniaire ne soit – à nouveau – pas particulièrement sévère, si le propriétaire de l’immeuble précité n’a pas fait enregistrer ses chambres auprès de l’administration communale, ce dernier se trouve en infraction à la loi précitée.

 

Finalement, en procédant à la location d’une ou plusieurs logements via le portail « Airbnb », le propriétaire devra veiller à ne pas se mettre en infraction vis-à-vis de la règlementation communale d’urbanisme. Le cas échéant, une demande d’autorisation de changement d’affectation, voire de transformation de l’immeuble, devra être introduite auprès du bourgmestre territorialement compétent.

 

A ce niveau, la sanction peut être plus lourde, puisque l’article 107 de la loi modifiée du 19 juillet 2004 concernant l’aménagement communal et le développement urbain énonce :

«1. Sont punis d’un emprisonnement de huit jours à deux mois et d’une amende de 251 à 125.000 euros, ou d’une de ces peines seulement, tous ceux qui enfreignent de quelque manière que ce soit les prescriptions des plans ou projets d’aménagement généraux ou particuliers, du règlement sur les bâtisses, les voies publiques et les sites ou des autorisations de bâtir.

2. Le juge peut ordonner la suppression des travaux exécutés ainsi que le rétablissement des lieux dans leur pristin état, aux frais des contrevenants. La commune ou, à son défaut, l’État peuvent se porter partie civile ». Il convient d’emblée de relever que les juridictions pénales françaises se montrent particulièrement sévères en cas d’infractions urbanistiques commises par des « logeurs Airbnb », ceci en considération des revenus générés par ces derniers. 

 

Afin de pouvoir discuter de la conformité de la location « Airbnb » vis-à-vis des règlementations communales d’urbanisme, il se pose en premier lieu la question de la qualification de l’activité de location via le portail « Airbnb », au sens urbanistique du terme (le « mode d’affectation » de la construction »). Dans de nombreux cas, il s’agira de vérifier la conformité de l’activité avec le caractère unifamilial de l’habitation concernée, si plusieurs chambres ou logements sont loués via le portail « Airbnb ». L’on peut en effet s’interroger si le fait de loger plusieurs chambres à des personnes distinctes ne procède pas à un changement d’affectation d’une maison unifamiliale vers une maison plurifamiliale.

 

A cet égard, il y a lieu de faire tout d’abord référence à un jugement du tribunal administratif du 8 janvier 2018 n° 38557 qui a décidé, sur la toile de fond de la colocation, ce qui suit :

« D’autre part, le tribunal relève qu’au regard des définitions des notions de logement et de maison unifamiliale contenues à l’annexe II du règlement grand-ducal du 28 juillet 2011, la conclusion s’impose qu’une maison unifamiliale est compatible avec la colocation, sans que ce mode d’habitation ne change la nature de l’immeuble. En effet, conformément à l’annexe II du règlement grand-ducal du 28 juillet 2011, une maison unifamiliale est désignée comme visant une « construction servant au logement permanent et comprenant en principe une seule unité de logement. Un seul logement intégré supplémentaire y est admis », le logement intégré étant défini comme étant « un logement faisant partie d’une maison de type unifamilial et appartenant au propriétaire du logement principal. Le logement ne peut être destiné qu’à la location et doit être subordonné en surface au logement principal ». Le logement, pour sa part, est défini comme un « ensemble de locaux destinés à l’habitation, formant une seule unité et comprenant au moins une pièce de séjour, une niche de cuisine, une salle d’eau avec WC». A partir de ces définitions, le tribunal est amené à retenir que non seulement un  logement intégré, expressément prévu par le règlement grand-ducal du 28 juillet 2011, mais aussi la colocation est compatible avec une maison unifamiliale. En effet, une maison unifamiliale, comprenant au moins une pièce de séjour, une niche de cuisine et une salle d’eau avec WC, forme une seule unité, partant un logement au sens de l’annexe II du règlement grand-ducal du 28 juillet 2011, et cela même dans l’hypothèse où différentes chambres de la maison sont occupées par des personnes non liées par des liens familiaux, mais qui partagent l’usage des pièces communes telles que la pièce de séjour, la cuisine, la salle d’eau et les WC. La circonstance que les différents colocataires disposent chacun d’un contrat de location individuel n’est pas de nature à changer cette analyse, dans la mesure où l’unité visée par le règlement grand-ducal du 28 juillet 2011 est définie par rapport à la pièce de séjour, la niche de cuisine, la salle d’eau avec WC, indépendamment de la question de savoir si ces pièces sont utilisées par une personne, ou si elles le sont en commun par une famille ou par des colocataires. Dès lors, l’usage d’une maison unifamiliale, qualifiée comme étant un logement au sens du règlement grand-ducal du 28 juillet 2011, à des fins de colocation, ne modifie pas, contrairement à ce qui est soutenu par la commune, le statut de cette maison unifamiliale, de manière qu’elle n’est pas à qualifier ipso facto de logement collectif » (nous soulignons).

 

En extrapolant, il n’est pas certain, à mon estime, de pouvoir argumenter que la location de plusieurs chambres d’une maison via le portail « Airbnb », modifie le caractère unifamilial de celle-ci, dès lors que cela n’a pas pour effet de créer différentes unités de logement séparées. Cela serait cependant différent si chaque « chambre » louée disposait d’une sale de séjour, une cuisine, une salle d’eau et des WC, rendant de la sorte ces unités indépendantes les unes des autres.

 

L’on peut, dans un second temps, s’interroger si l’activité litigieuse ne peut être qualifiée d’activité hôtelière, toujours au sens urbanistique du terme.

 

A ce niveau à nouveau, argumenter en ce sens ne s’avèrerait pas aisé. En effet, le règlement grand-ducal du 28 juillet 2011 sur le contenu du PAG d’une commune ne définit pas la notion d’hôtel (pas plus que son successeur, le règlement grand-ducal du 8 mars 2017), tandis que suivant la loi du 17 juillet 1960 portant institution d’un statut de l’hôtellerie, les hôtels devront disposer d’au moins dix chambres. En outre, un hôtel s’accompagne de différents services spécifiques que l’on ne retrouve pas nécessairement au niveau de la location « Airbnb ».

 

 

***

 

 

Il y a tout de même lieu de noter ceci :

 

Le règlement grand-ducal du 8 mars 2017 concernant le contenu du plan d’aménagement particulier

« quartier existant » et du plan d’aménagement particulier « nouveau quartier » définit la maison unifamiliale comme étant « une construction servant au logement permanent et comprenant en principe une seule unité de logement. Un seul logement intégré supplémentaire y est admis ». Cette même notion de « logement permanant » est également reprise pour les définitions des maisons bifamiliales et plurifamiliales.

 

A cet égard, dans un arrêt du 1er avril 2004 portant le numéro 17336C du rôle, la Cour administre a considéré, en matière d’inscription au registre de la population, ce qui suit :

« La Cour adopte et fait sienne les développements du tribunal administratif qui a notamment retenu à ce sujet que comme l’autorisation précitée du 3 décembre 1984 a formellement exclu que ces pièces soient affectées à un logement permanent, mais au contraire à un logement de courte durée, pour des séjour de touristes, le demandeur n’a pas été autorisé à y loger, sur base d’un contrat de bail à durée indéterminée ou déterminée et à des fins de logement permanent, des personnes qui y souhaitent établir leur domicile et que cette conclusion ne saurait être énervée par le fait que des taxes communales ayant plus particulièrement trait aux ordures ménagères, au canal ainsi qu’à l’eau, ont été facturées et payées par le demandeur au sujet des 5 logements en question, ce fait à lui seul n’étant pas de nature à lui donner un droit acquis quant à la réaffectation de ces logements à des fins d’habitation permanente ».

 

De cette jurisprudence, si elle est transposable en matière d’urbanisme, il y a lieu de relever que le logement permanent est donc opposé au logement de courte durée et au logement pour des séjours de touristes, qui recouvrent des réalités différentes.

 

Or, le recours à la plateforme « Airbnb » vise en principalement à offre des locations pour de courte durée, voire de logement pour des séjours de touristes.

 

L’activité « airbnb » ne rentrerait donc pas dans le cadre de la définition d’une maison unifamiliale, à savoir, une construction servant au logement permanent.

 

Partant, sous cet angle de vue, l’activité de location pour des séjours de courte durée n’est pas à considérer comme étant compatible avec les notions de logement unifamilial, bifamilial ou plurifamilial, du moins si cette activité est régulière de sorte à devoir considérer que l’activité principale (à savoir le logement permanant), devient secondaire. Il y aurait alors, à notre avis, dans ce cas un changement d’affectation.

 

 

Finalement, nous nous sommes interrogés sur le caractère périodique et répété des locations de courte durée.

Suivant la législation française, qui pour rappel a légiféré face au phénomène « Airbnb », « le fait de louer un local meublé destiné à l’habitation de manière répétée pour de courtes durées à une clientèle de passage qui n’y élit pas domicile constitue un changement d’usage ». (article L-631-7 du Code de la construction et de l’habitation). Si certes, cette disposition n’existe pas au Luxembourg, la ration legis du texte prend appui sur la notion d’acte de commerce et finalement d’activité commerciale. Somme toute, la législation française ne fait que définir un cas précis où elle estime qu’il y a un changement d’usage. Au Luxembourg, l’article 37 de la loi modifiée du 19 juillet 2004 impose également, de manière plus générale, une autorisation du bourgmestre pour tout changement d’affectation.

 

Aussi, nous sommes d’avis que le caractère répété de locations de courte durée au sein d’un immeuble pourrait impliquer un changement d’affectation, de la maison d’habitation vers un immeuble à vocation commerciale.

 

Dans le contexte d’une action introduite par des copropriétaires, la jurisprudence française a considéré d’ailleurs qu’ : « un logement donné en location touristique n’est plus considéré comme affecté à l’habitation lorsqu’il est donné en location pour des durées inférieures à une année à des touristes de passage, ce qui entraine un changement d’usage selon le code de la construction et de l’habitation (…). Les dispositions d’ordre public de ce texte peuvent être invoquées par toute personne y ayant un intérêt, y compris le syndicat des copropriétaires. [Le propriétaire] (…) laisse donc une activité illicite se dérouler dans son appartement, alors même qu’aucune utilisation commerciale des lieux n’est permise par le règlement de copropriété » (TGI Paris, référé, 16 juin 2015, n° 14/60303).

 

Des affaires existent également au niveau pénal en France et on conclu à des infractions urbanistiques en raison du caractère non autorisé des changements d’usage (voir not CA. Paris., Pôle 1 – Chambre 2, Arrêt du 09 mars 2017 n° 15/14971).

 

Dans le contexte d’une demande de changement d’affectation, il appartiendra au bourgmestre de la commune concernée de vérifier le respect de l’ensemble des prescriptions d’urbanisme et notamment du respect du nombre d’emplacement de parking suffisants.

 

 

Par Me Sébastien COUVREUR

Avocat à la Cour.


 

 

 

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