Droit immobilier

L’absurdité d’une situation urbanistique irrégulière mais tolérée, justifie-t-elle une régularisation ex post, si la règlementation d’urbanisme ne la permet a priori pas ?

L’absurdité d’une situation urbanistique irrégulière mais tolérée, justifie-t-elle une régularisation ex post, si la règlementation d’urbanisme ne la permet a priori pas ?


Article paru dans la Revue Luxembourgeoise de droit public (RLDP) n° 18 de février 2024


(Extraits)[1]

 

« Par acte notarié du 9 juin 2009 passé pardevant Maître Francis KESSELER, à l’époque notaire de résidence à Esch-sur-Alzette, Monsieur (A) acquit un « grenier » dans un immeuble en copropriété sis à Sandweiler, …., am Steffesgaart, inscrit au cadastre de la commune de Sandweiler, section A de Sandweiler sous le numéro …..

 

Par courrier du 19 octobre 2015, le mandataire de l’administration communale de Sandweiler, ci-après « la commune », s’adressa à Monsieur (A) dans les termes suivants :

 

« (…) Je fais suite aux différents échanges de correspondances, voire de mails ayant trait au dossier sous rubrique et plus particulièrement aux problèmes affectant le bien immobilier qui est votre propriété qui se trouve situé à L-….

 

Suites aux instructions reçues par le collège de bourgmestre et échevins, je vous avais signalé par courrier du 4 mai 2015 que le bien immobilier en question ne saurait être utilisé comme habitation de personnes, alors que l’autorisation de bâtir a uniquement été accordée pour deux unités d’habitation, l’une au premier étage et l’autre au 2e étage.

 

Le 3e niveau, qui est partiellement votre propriété, a été divisé en 2 unités d’habitation et vous avez été induit en erreur par votre vendeur.

 

Comme dans ce dossier il y a eu des faits qui sont indépendants de votre volonté et par ailleurs votre inscription sur la liste des habitants a été autorisée jusqu’au 15 janvier 2015, qu’on vous a demandé de régler une taxe ordre, un impôt foncier, etc., le collège échevinal me charge de vous informer qu’il tolère de façon tout à fait exceptionnelle l’utilisation de votre unité à titre d’habitation.

 

Cette tolérance, toutefois, n’est pas à considérer comme une autorisation. Cela signifie que votre unité d’habitation peut être occupée à des fins d’habitation soit par vous-même soit par une personne à laquelle le bien serait donné en location par vos soins. (…) ».

 

Par courrier du 31 juillet 2020, le collège échevinal de la commune de Sandweiler, ci-après « le collège échevinal », informa Monsieur (A) de ce qui suit :

 

« (…) Nous ne saurions accepter éternellement la situation de fait qui nous a été imposée, c.à.d. l’usage du grenier que vous avez acheté à titre permanent d’habitation au … , am Steffesgaart à Sandweiler.

 

Par la présente, nous vous informons que Mme (D) est la toute dernière locataire qui pourra habiter et être déclarée à cette adresse dans la mesure où la situation de ce grenier ne lui est pas imputable.

 

Le fait qu’une poubelle en son nom sera mise à sa disposition ne constitue aucun droit acquis pour vous qu’une personne puisse encore être déclarée comme habitant de ce grenier.

 

Mme (D) bénéficiera de cette poubelle pour des raisons d’hygiène et de salubrité exclusivement.

 

Il nous revient également que l’acte notarié définit comme grenier l’endroit où habite Mme (D). La maison est à considérer comme maison bifamiliale et aucune 3e unité d’habitation ne saurait être tolérée de façon permanente.

 

Vous prenez dès lors note que Mme (D) est la dernière personne susceptible de pouvoir habiter les lieux en question qui ne pourront, après le départ de cette dernière, plus être occupés par un locataire ou une quelconque autre personne qu’elle soit propriétaire ou non. (…) ».

 

Par courrier du 30 octobre 2020, Monsieur (A) introduisit un recours gracieux à l’encontre du courrier précité du collège échevinal du 31 juillet 2020.

 

Le même jour, Monsieur (A) introduisit encore une demande tendant à l’affectation de l’immeuble à des fins d’habitation.

 

Par courrier du 12 mars 2021, Monsieur (A) demanda encore « à voir régulariser sa situation sinon (…) une autorisation d’affectation de son bien immobilier à une occupation à des fins d’habitation ».

 

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le même jour, inscrite sous le numéro 45832 du rôle, Monsieur (A) fit introduire un recours tendant à l’annulation, sinon à la réformation d’une décision implicite de refus du collège échevinal de la commune de Sandweiler résultant du silence gardé pendant un délai de plus de trois mois à la suite de l’introduction d’une demande tendant à l’affectation de l’immeuble à des fins d’habitation formulée le 30 octobre 2020.

 

Par requête déposée le 4 août 2021 au greffe du tribunal administratif, inscrite sous le numéro 46330 du rôle, Monsieur (A) fit introduire un recours tendant à l’annulation, sinon à la réformation d’une décision implicite de refus du bourgmestre de la commune de Sandweiler, ci-après « le bourgmestre », résultant du silence gardé pendant un délai de plus de trois mois à la suite de l’introduction de la demande du 12 mars 2021.

 

Par jugement du 20 mars 2023, le tribunal joignit les trois recours inscrits sous les numéros du rôle respectifs 45831, 45832 et 46330 pour se déclarer incompétent pour connaître des recours en réformation introduits à titre principal et déclarer irrecevable le recours en annulation introduit sous le numéro 45831 du rôle.

 

Le tribunal déclara recevables et fondés les recours subsidiaires en annulation introduits sous les numéros 45832 et 46330 du rôle pour annuler les décisions implicites de refus du bourgmestre voire du collège échevinal de la commune de Sandweiler se dégageant à chaque fois du silence de plus de trois mois ayant couru respectivement à partir des demandes d’autorisation des 30 octobre 2020 et 12 mars 2021, tout en renvoyant l’affaire en prosécution de cause devant l’administration communale de Sandweiler et en condamnant celle-ci aux frais et dépens de l’instance.

 

Par requête d’appel déposée au greffe de la Cour administrative le 28 avril 2023, l’administration communale de Sandweiler a fait régulièrement entreprendre le jugement précité du 20 mars 2023 dont elle sollicite la réformation dans le sens de voir déclarer les recours subsidiaires en annulation inscrits sous les numéro 45832 et 46330 non fondés, tout en demandant à voir confirmer le jugement dont appel relativement à l’irrecevabilité du recours subsidiaire inscrit sous le numéro 45831 du rôle et à voir condamner la partie intimée aux frais et dépens des deux instances. […].

 

La commune fait tout d’abord valoir que ce seraient les dispositions de la partie écrite de son plan d’aménagement général, ci-après « le PAG », voté en juillet 2018, approuvé par le ministre de l’Intérieur le 21 décembre 2018, qui seraient dorénavant applicables et seraient également de nature à conditionner les décisions actuellement portées devant la Cour. […].

 

En second lieu, la commune fait valoir que la demande de changement d’affectation voire de régularisation se heurterait également à la réglementation communale relative aux places de stationnement. Elle invoque l’article 33 a) du PAG suivant lequel l’autorisation d’une troisième unité de logement impliquerait la mise en place d’un cinquième emplacement qui tout simplement n’existerait pas.

 

En troisième lieu, la commune fait valoir à titre complémentaire qu’un nouveau PAG serait en procédure dont la saisine a été faite le 11 novembre 2021, tandis que la partie écrite du document aurait fait l’objet d’une approbation de la part de la commission d’aménagement auprès du ministère de l’Intérieur lors de sa séance du 9 janvier 2023.

 

D’après cette nouvelle réglementation, l’immeuble litigieux se trouverait dans la zone d’habitation [HAB-1] qui, à son tour, d’après le PAP quartier existant, ci-après « le PAP QE », serait subdivisée en plusieurs sous-catégories, l’immeuble litigieux étant classé dans la sous-catégorie [HAB-1]. Y seraient uniquement autorisées à l’heure actuelle des maisons unifamiliales avec un seul logement intégré supplémentaire ce qui exclurait dorénavant le bi-familial et par la force des choses tout logement qui viendrait encore s’y ajouter. […]

 

La partie intimée sollicite en substance la confirmation du jugement dont appel à partir des motifs y contenus tout en concluant au caractère non justifié des moyens d’appel communaux.  […].

 

La Cour se doit ensuite de constater que la situation en fait est singulièrement particulière. Ainsi, il est difficilement retraçable qu’en date du 9 juin 2009 un acte notarié a pu être passé suivant lequel l’acquéreur devient propriétaire d’un « grenier » dans un immeuble en copropriété au prix toutefois consistant de …… €, s’agissant, outre les parties privatives, de 134 millièmes des parties communes.

Sur question spéciale du notaire, l’acquéreur a déclaré solliciter l’octroi des avantages fiscaux et, à cet effet, il a pris l’engagement devant notaire d’occuper personnellement l’immeuble, objet du contrat de vente, dans un délai de deux ans à compter de sa passation et pendant une durée d’occupation ininterrompue de deux ans au moins, de même que de ne pas l’affecter à un autre usage pendant cette période et de rembourser le montant de l’abattement et les intérêts légaux depuis le jour de l’octroi accordé en cas de non-respect desdites conditions.

 

De même, l’acquéreur prit l’engagement de déclarer par écrit à l’administration de l’Enregistrement, dans le délai de trois mois, toute cession ou tout changement de l’affectation de l’immeuble, objet du contrat de vente en question.

 

De fait, il résulte des pièces versées en cause que dès l’acquisition en 2009, sans préjudice de l’affectation antérieure, le soi-disant grenier acquis par l’intimé s’analysait en fait en tant que studio parfaitement adapté à l’habitation permanente.

 

Il résulte clairement de l’acte notarié tel que libellé qu’au-delà de la désignation de l’objet de vente comme étant un « grenier », l’affectation afférente prévue est celle d’une habitation et que l’acquéreur s’engage à ne point changer cette affectation tout en s’engageant également à utiliser l’immeuble en question en tant qu’habitation personnelle pour le moins durant deux ans tout en ne l’affectant pas à un autre usage durant cette période.

 

Seulement, en vertu de la réglementation communale d’urbanisme de l’époque, l’immeuble litigieux sis ….., am Steffesgaart, a été autorisé en tant que construction bi-familiale comportant deux unités d’habitation. Le prix payé en 2009 correspond également à la valeur d’un studio et non point à celle d’un simple grenier.

 

L’utilité d’un office ministériel de notaire est difficilement retraçable également dans un cas de figure tel celui sous analyse où sous le couvert du libellé d’un « grenier », la propriété d’un studio est transférée suivant le prix d’un studio et les conditions d’ordre fiscal permettant à l’acquéreur de bénéficier des avantages fiscaux prévus par la loi en cas d’acquisition d’une première habitation, y compris l’engagement de respecter l’affectation de l’objet acquis en tant qu’habitation et de ne point y apporter de changement.

 

Toujours est-il qu’à l’époque l’intimé a pu acquérir une habitation devant notaire, sans qu’une quelconque difficulté apparente n’ait été élevée eu égard au fait que dans la construction de l’immeuble sis …., am Steffesgaart, seulement deux unités d’habitation étaient autorisées et que manifestement le studio/grenier litigieux n’avait jamais été autorisé en tant que tel.

 

Force est encore de constater que la situation de déséquilibre dénotée perdure actuellement dans le chef de l’intimé depuis plus de 14 ans.

 

Le malaise perçu par l’administration communale est patent, ainsi que le démontre notamment le courrier du 19 octobre 2015, prérelaté, faisant état d’une tolérance ayant perduré jusqu’au courrier du 31 juillet 2020, lequel rend de fait le bien acquis par l’intimé inapte à remplir sa fonction de logement pourtant documentée, du moins indirectement mais certainement par l’acte notarié d’acquisition.

 

Il est constant que la démarche de l’intimé a consisté, après plus de dix années de tolérance communale, de voir reconnaître dans le chef de son immeuble acquis en 2009 une affectation d’habitation voire d’obtenir une autorisation afférente.

 

Cette démarche est effectuée sur la toile de fond d’une pénurie vérifiée de logements au Grand-Duché de Luxembourg et plus particulièrement au niveau de la Ville de Luxembourg et des communes avoisinantes.

 

S’il est vrai que cette disposition constitutionnelle n’est pas applicable ratione temporis au cas d’espèce, il n’en reste pas moins que l’article 40 de la Constitution révisée, en ce qu’il dispose que « L’Etat veille à ce que toute personne puisse vivre dignement et disposer d’un logement approprié », y figurant en tant qu’objectif à valeur constitutionnelle, doit être de nature à guider l’interprétation et l’appréciation à effectuer aujourd’hui, même dans un recours en annulation tourné vers le passé, dans un cas de figure tendant à la reconnaissance d’un immeuble bâti en tant que logement servant à l’habitation de personnes, fonction qu’il remplit de fait depuis près d’une décade et demie.

 

Il est tout à fait retraçable qu’une administration communale ne peut pas admettre de stratagème consistant à contourner sa réglementation communale d’urbanisme dans le sens de voir dédouaner à plus ou moins court ou moyen terme des immeubles bâtis non autorisés en tant qu’immeuble d’habitation pour, en fin de compte, vu la pénurie subsistante, voir régulariser leur situation, malgré le fait que l’intention de départ était celle de ne pas se conformer à la loi, pour, par la suite, vu la largesse administrative, profiter d’une régularisation.

 

Le cas d’espèce ne correspond nullement à ce cas de figure.

 

La commune elle-même, notamment dans l’écrit de son mandataire du 19 octobre 2015 précité reconnaît que « dans ce dossier il y a eu des faits qui sont indépendants de votre volonté », de même qu’elle le relate que l’intéressé a été dès l’acquisition admis comme habitant à l’endroit via une inscription afférente dans la liste des habitants de la commune, de même qu’il lui a été demandé de régler une « taxe d’ordre » et de payer l’impôt foncier comme si l’immeuble en question avait été légalement reconnu comme immeuble d’habitation.

 

Certes la commune prend soin dans le courrier précité de préciser que l’intéressé jouit à titre de tolérance et de façon tout à fait exceptionnelle de l’utilisation de son dit bien immobilier à titre d’habitation, sans que toutefois celle-ci ne puisse être considérée comme autorisation.

 

Tout comme l’Etat de droit comporte la mise en place d’un ordonnancement juridique obligatoire devant être respecté, le maintien dans l’illégalité d’une situation affectant directement une personne de bonne foi étrangère à la création de la non-conformité à une règle posée ne saurait être toléré indéfiniment.

 

L’administration a, à cet escient également, la charge de veiller, toujours dans une situation où l’intéressé est de bonne foi, à une résorption de la situation de distorsion perdurante par voie de régularisation suivant des modalités équitables ne mettant point en péril l’intérêt public.

 

Un vecteur de nature à aider à dégager pareille situation exceptionnelle justifiant une régularisation est celui de la vérification d’une situation absurde.

 

Tout d’abord, aucun élément du dossier ne permet de conclure à l’absence de bonne foi dans le chef de l’intimé.

 

Concernant l’absurde, la situation perdurant depuis près d’une décade et demie y tend sous différents aspects.

 

Ensuite, l’incohérence des différents termes de l’acte notarié de 2009, ci-avant dénotés, consacre surtout les attributs d’une obligation d’habitation pour un soi-disant grenier vendu au prix d’un studio au vu d’un officier ministériel, étape indispensable et obligatoire en vue de l’acquisition d’une propriété immobilière.

 

S’y ajoute le fait que la commune traite l’acquéreur comme un habitant durant un long laps de temps de manière à remplir la fonction de logement dans le chef du studio/grenier litigieux sur toile de fond de pénurie de logement persistante pour, en fin de compte, faire volte-face et déclarer tolérer uniquement encore le dernier locataire en place en 2020, rendant de la sorte l’espace d’habitation inapte à sa fonction essentielle.

 

L’absurde consiste précisément dans le fait de n’offrir à l’intéressé aucune issue, sauf celle d’utiliser le logement existant de fait en tant que simple local de stockage.

 

Sur cette toile de fond, les refus litigieux épousent le reproche de l’absurde et ne sauraient, dans les circonstances particulières données, recevoir la justification qu’une lecture stricte de la réglementation communale d’urbanisme leur prêterait.

 

Dans les conditions données, la résidence litigieuse doit être considérée comme ayant pu accueillir pour le moins trois unités d’habitation en y comprenant le grenier/studio litigieux traité comme pareille habitation par l’acte notarié de vente du 9 juin 2009 à l’origine de la distorsion constatée dans le chef de l’intimé.

 

Dès lors, contrairement à l’argumentaire communal en appel, le jugement dont appel est à confirmer, l’argumentaire des premiers juges étant à sous-tendre par les considérations qui précèdent. […] ».

 

Cour adm., 28 novembre 2023

Comp. : F. Delaporte, S. Schroeder, L. Spielmann

Av. : J. Kauffman ; R. Amiali

(N° 48881C du rôle)

 

Faits de l’affaire.

 

Les faits à la base de cette affaire se rapportent à une situation qui  n’est pas  rare au Grand-duché.

 

Il arrive en effet fréquemment que, malheureusement, la situation factuelle d’un bien immobilier, en particulier son affectation effective, ne corresponde pas à la situation juridique dudit bien, c’est-à-dire aux autorisations de bâtir délivrées jusqu’alors pour l’immeuble concerné.

 

Les exemples en pratique sont légion :

-          des greniers aménagés en tant que duplex, voire même comme lot d’habitation séparé.

 

-          Des maisons unifamiliales divisées en maisons de rapport avant que  les différentes unités non autorisées ne soient cédées séparément.

 

-           Des locaux d’habitation réaffectés comme bureaux, etc.

 

Etant donné que l’analyse du caractère légal d’un bien immobilier vendu n’est généralement pas opérée par le notaire, ou de manière extrêmement sommaire, il arrive donc que des personnes fassent l’acquisition d’unités de logement juridiquement inexistantes, respectivement juridiquement irrégulières, car non autorisées et non régularisables en ce qu’elles sont contraires à la règlementation d’urbanisme de la commune concernée.

 

En l’espèce, un administré a acheté, en 2009, par-devant notaire, un lot identifié dans l’acte comme « grenier ».

 

Toutefois, à la demande expresse dudit notaire – et ceci fait bien évidemment l’objet d’une mention dans l’acte – l’acheteur s’est engagé à occuper personnellement l’immeuble pendant une durée de 2 ans, ceci afin de bénéficier du crédit d’impôt « Bëllegen Akt ».

 

Ce crédit d’impôt s’applique notamment aux logements destinés à servir d’habitation principale, personnelle et effective.

 

L’administration après avoir toléré cette situation irrégulière de nombreuses années – tout en précisant expressément par souci de précaution que sa tolérance ne saurait valoir à titre d’autorisation administrative – a subitement écrit à l’administré pour l’informer qu’elle mettrait fin à cette tolérance.

 

Le propriétaire – qui entre-temps louait le bien – a introduit un recours gracieux contre ce qu’il considérait comme une décision, ainsi qu’une demande d’autorisation ex post à titre de régularisation de la situation existante.

 

Faisant face à des refus de l’administration communale sur ses demandes de régularisation de la situation factuelle existante, il a porté l’affaire devant les juridictions de l’ordre administratif.

 

L’affaire devant le Tribunal

 

La lecture du jugement (T.A. du 20 mars 2023, 45.831, 45832 et 46.330) de première instance laisse comprendre que devant le Tribunal, l’administration communale s’était manifestement contentée de soutenir l’irrecevabilité des recours et de renvoyer simplement, pour justifier en droit ses décisions de refus d’autoriser la régularisation du logement, à l’acte de vente, suivant lequel ce lot était identifié à des fins de grenier.

 

Elle a également indiqué que l’autorisation de bâtir initiale n’avait pas autorisé trois unités de logement, mais seulement une maison bi-familiale, avec grenier.

 

Il semble donc, à lire le jugement du Tribunal qui a joint les trois différents rôles précités, que l’autorité communale n’a pas complété en cours d’instance sa motivation de refus à l’appui de diverses dispositions d’urbanisme en vigueur au moment de l’adoption des décisions litigieuses.

 

Il n’est peut-être pas inutile de rappeler ici que la jurisprudence admet qu’une administration peut compléter les motifs d’une décision querellée par-devant les juridictions administratives (et c’est évidemment d’autant plus le cas, dans l’hypothèse d’une décision implicite de refus, qui par définition n’expose aucun motif) et ce même en instance d’appel[1], pourvu que ces motifs aient existé au moment de la décision et sous réserve d’un débat contradictoire[2].

 

Dans ce contexte, le Tribunal – après avoir rappelé les principes applicables en la matière – s’est attardé à vérifier la régularité des décisions attaquées.

 

Il a d’abord constaté que le PAG en vigueur au moment des décisions litigieuses, à cet endroit, n’empêchait pas la construction de trois unités de logement dans un bâtiment plurifamilial (mais permettait bien, au contraire, un bâtiment pouvant compter jusqu’à dix unités de logement).

 

Le jugement met par ailleurs en exergue que le plan d’aménagement général (‘PAG’) permettait, sous condition, l’aménagement d’un logement dans les combles. Or, l’autorité communale n’a pas pris la peine de vérifier ces conditions.

 

Le juge a  ainsi exposé : « C’est dès lors à tort que la commune s’oppose à l’affectation à l’habitation en raison du fait que l’immeuble consiste en un « grenier », alors que le PAG prévoit justement l’aménagement des combles à une usage d’habitation.

 

En refusant purement et simplement l’affectation à l’habitation sans vérifier si la surface du local litigieux utilisé pour l’habitat respecte le seuil de 80%, tel que prévu à l’article 6.2., précité, de la partie écrite du PAG, la commune a méconnu les dispositions de cet article permettant en principe l’habitat sous les combles »,

 

Il ajoute : « En ce qui concerne l’argument de la commune selon lequel son refus se justifierait par le fait que l’autorisation de construction du 25 novembre 1998 concerne la construction d’une maison bi-familiale, de sorte à disposer de deux caves et de deux garages pour les deux unités d’habitation, il échet de constater que la commune reste en défaut d’invoquer des dispositions urbanistiques législatives ou réglementaires qui s’opposeraient à l’affectation à l’habitat des combles d’une maison bi-familiale en troisième unité, étant encore rappelé que le bourgmestre est appelé à vérifier la seule conformité d’un projet de construction, respectivement de changement d’affectation avec les prescriptions du PAG, du plan d’aménagement particulier éventuel et du règlement sur les bâtisses communaux et non par rapport à une autorisation ayant été accordée précédemment ».

 

Le Tribunal, après avoir donc considéré que la commune était restée en défaut d’avoir justifié ses refus implicites par d’autre motifs, a partant décidé d’annuler les décisions de refus déférées.

 

Somme toute, l’analyse effectuée par les premiers juges est classique : la régularisation d’une situation urbanistique irrégulière doit être accordée par le bourgmestre si aucune disposition réglementaire ne s’y oppose.

 

Inversement, une décision de refus de régularisation est justifiée si la règlementation urbanistique communale l’en empêche.

 

Mécontente de la solution apportée par le Tribunal administratif, la commune a alors saisi la Cour administrative.

 

 Analyse de l’arrêt

 

Les juges d’appel, dans la décision sous analyse, s’interrogent – et nous partageons ce questionnement – sur la véritable utilité de l’office d’un notaire dans ce cas précis, alors qu’il y avait une situation a priori paradoxale ; un grenier n’était pas destiné à servir d’unité de logement séparée.

 

L’acte notarié comportant une contradiction interne manifeste à cet égard, la question de la responsabilité du notaire se pose avec une acuité toute particulière, ceci indépendamment de la question de savoir si le « grenier » pouvait être régularisé en tant qu’unité de logement.

 

Par contre, selon nous, la Cour administrative aurait dû «se contenter » d’analyser la question de la conformité de la demande de régularisation vis-à-vis de la règlementation urbanistique en vigueur au jour des décisions querellées, pour trancher si oui ou non une régularisation était juridiquement possible, laissant alors intacte la question de la responsabilité du notaire en cas de régularisation impossible.


Cela étant dit, c’est également à raison que les juges d’appel ont estimé qu’il se dégageait des éléments, et notamment de l’acte d’achat – et du prix – que le grenier s’analysait déjà en 2009, sur le plan factuel « en tant que studio parfaitement adapté à l’habitation permanente ».

 

Manifestement, l’administration communale a par ailleurs réclamé des taxes à titre d’unité d’habitation, et a toléré cette situation de longues années.

 

La Cour a bien dégagé le sentiment de malaise dans le chef de l’administration, qui subitement a décidé de mettre fin à cette tolérance.

 

Il semblerait que l’autorité communale, devant la Cour, a finalement développé divers motifs juridiques de refus et notamment les dispositions du PAG relatives aux emplacements de stationnement nécessaires en vue de la création (ici par voie de régularisation) d’une unité de logement supplémentaire. Cette disposition n’avait pas été, du moins aussi clairement,  invoquée en première instance.

 

Celle-ci – pourtant en vigueur au moment des décisions attaquée – semblerait, d’après une analyse de nos soins sur base des informations à notre disposition, pouvoir régulièrement fonder un refus d’autorisation de changement d’affectation, alors que la création d’une unité de logement (ou plutôt la régularisation administrative du studio irrégulier) aurait manifestement dû entrainer la création d’un emplacement de stationnement supplémentaire ; ce qui ferait vraisemblablement défaut en l’espèce.

 

Nous rappelons qu’il est généralement considéré par les juridictions administratives qu’une situation irrégulière administrativement parlant ne se régularise pas du fait de l’absence de réaction de l’autorité, respectivement de sa tolérance.

 

En effet, il a été jugé de manière constante que : « L'illégalité du changement d'affectation et des transformations apportés à un immeuble au mépris des dispositions réglementaires applicables ne saurait être régularisée par le défaut de réaction, même pendant une longue période, par la commune[3]. ».

 

Jugé également que « le fait que la société  demanderesse  ait  acquis  de bonne foi un  immeuble  dont  la  destination  avait  fait  l’objet  d’un changement et de transformations non autorisés, partant illégaux - les pièces versées en cause par l’administration communale attestant de la seule affectation initialement autorisée en 1907, à savoir  celle  de  maison  unifamiliale  -, est sans pertinence, alors que l’acquéreur,  fut-il  de bonne foi, ne saurait tirer des droits de la transmission immobilière opérée »[4]. Dans cette affaire, les juges administratifs avaient considéré que ni la présence dans les lieux de quatre compteurs électriques distincts, ni la tolérance de l’administration, ni l’émission par la Ville d’Esch/Alzette de taxes de raccordement avec la mention « maison de rapport », ne permettait d’entrevoir un droit acquis pour une maison plurifamiliale.

 

Par ailleurs, dans une ordonnance récente[5], le Président a pu exposer : « il appert que le recours sous analyse vise à pérenniser, du moins jusqu’à ce que les juges du fond aient tranché le fond, une situation reconnue comme étant illégale, aux seules fins apparemment de permettre au requérant de continuer à offrir en location les logements illégalement aménagés - l’«attestation testimoniale » de l’agent immobilier qui s’insurge contre le fait qu’en dépit de nombreuses demandes il ne puisse pas louer ces logements étant particulièrement parlant à ce sujet - en cherchant à cacher ce caractère illégal à travers la suspension de l’arrêté d’inhabitabilité affiché notamment sur les lieux. Le recours intenté devant dès lors être considéré comme s’inscrivant dans le contexte d’un usage abusif du service public de la justice, ayant pour conséquence l’encombrement du rôle par des actions abusives venant encore accroître l’arriéré judiciaire, […] ».

 

Par contre, il est souvent rappelé qu’une autorisation de régularisation – qui est une autorisation ex post – peut toujours être sollicitée et doit même être accordée lorsque (et en principe uniquement dans ce cas) les travaux et l’affectation faisant l’objet de la demande de régularisation respectent la législation en vigueur.

 

En effet, les juridictions administratives ont pu exposer : «Le fait que le demandeur d’autorisation ait créé un fait accompli en ayant déjà réalisé la construction pour laquelle il demande, ex post, l’autorisation, n’est pas en tant que tel un empêchement à la délivrance de celle-ci, en quelque sorte par voie de régularisation, du moment que les conditions légales afférentes se trouvent remplies »[6].

 

Comme  elles le rappellent également souvent:  « Le bourgmestre doit accorder l’autorisation de construire lorsque le projet de construction est entièrement conforme aux plans d’aménagement communaux et que les travaux de voirie et d’équipements publics nécessaires à la viabilité du projet sont achevés »[7].

 

En effet, « une autorisation de construire qui, en substance, consiste en la constatation officielle par l'autorité compétente de la conformité d'un projet de construction par rapport aux dispositions réglementaires (plan d'aménagement et règlement sur les bâtisses) applicables »[8].

 

Dans la décision sous analyse, il semblerait que la Cour administrative soit venue tempérer, dans ce cas précis, la condition de la conformité des travaux entrepris au regard des règles urbanistiques en vigueur, aux fins d’obtenir une autorisation de régularisation.

 

En effet, la conformité des travaux réalisés – c’est-à-dire la création du studio – au regard notamment de la disposition relative au nombre d’emplacements de stationnement requis n’a manifestement pas été analysée par la Cour, alors pourtant qu’il semblerait a priori (les auteurs ne disposant pas du dossier complet, uniquement des décisions librement accessibles) qu’il s’agissait d’une motivation solide, pouvant justifier un refus d’autorisation ex post.

 

La Cour a, par contre, mis en avant le caractère absurde de la situation, et la bonne foi de l’administré qui a acheté le studio alors qu’il était déjà créé, sans permis préalable.

 

Au vu dudit caractère absurde de la situation, la Cour semble avoir fait fi des dispositions urbanistiques pertinentes en vigueur – et de sa jurisprudence antérieure -, et ce afin de permettre la fin d’une situation de distorsion ; ce qui semble aller frontalement à l’encontre du prescrit de l’article 37 de la loi modifiée du 19 juillet 2004 suivant lequel : « L’autorisation de bâtir n’est accordée que si les travaux sont conformes au plan ou projet d’aménagement général et, le cas échéant, au plan d’aménagement particulier « nouveau quartier », respectivement au plan ou projet d’aménagement particulier « quartier existant » et au règlement sur les bâtisses, les voies publiques et les sites […] »).

 

Il s’agit là, à notre estime, d’un véritable revirement de jurisprudence.

 

La marge de manœuvre du bourgmestre intervenant en prosécution de cause

 

Les auteurs s’interrogent encore sur les suites qui seront données à cette affaire précise.

 

En effet, le Bourgmestre va devoir en principe se conformer à l’arrêt de la Cour administrative.

 

Or, vraisemblablement, indépendamment des dispositions en vigueur au moment des décisions querellées, il semble que les règles en vigueur aient été modifiées, et qu’elles ne permettent plus qu’une maison unifamiliale avec un logement intégré (et non plus une résidence jusqu’à dix unités de logement). En d’autres termes, le studio ne serait a priori pas régularisable sur base des règles urbanistiques actuellement en vigueur.

 

Un Bourgmestre doit pourtant avoir égard aux dispositions en vigueur au moment de sa décision.

 

Ledit Bourgmestre, face à une nouvelle demande de régularisation, va donc être placé face à un dilemme : se conformer aux décisions de justice, ou bien appliquer les règles communales qui s’opposent a priori à une autorisation ex post.

Il reste également à espérer, pour le propriétaire – voire pour les Tribunaux –, qu’aucun tiers intéressé ne fera un recours contre cette éventuelle décision de régularisation à venir, et qui serait a priori non conforme aux dispositions en vigueur.

 

Les répercussions de l’arrêt

 

On peut finalement se demander la portée qu’aura cette jurisprudence nouvelle sur les autres situations plus-ou-moins semblables, alors que comme exposé, ce cas de figure n’est pas isolé au Grand-duché.

 

Cette décision de justice, à notre estime, bouleverse les jurisprudences antérieures bien établies, suivant lesquelles pour rappel – comme le prescrit d’ailleurs la loi modifiée du 19 juillet 2004 – une autorisation de bâtir ne peut être délivrée que dans l’hypothèse où le projet est conforme aux dispositions d’urbanisme en vigueur. Il était de jurisprudence également constante que le Bourgmestre ne devait avoir égard qu’aux dispositions d’urbanisme en vigueur au moment de sa prise de décision. Ainsi, le fait que l’administration aurait réclamé le paiement d’une taxe à titre de logement était, en principe, sans pertinence dans le cadre de l’analyse d’une demande de permis de bâtir.

 

Ainsi, cet arrêt ouvrirait-il la porte à la régularisation des situations irrégulières – et non conformes aux prescriptions – mais jusqu’alors tolérées par l’administration, pour autant qu’elles mènent à des situations absurdes ? L’avenir nous le dira.

 

 

Élie Dohogne

Avocat à la Cour

 

Sébastien Couvreur

Avocat à la Cour


 

 

 

 



[1] Pas. adm 2021, p.184 qui cite CA 10-2-11 (27163C) ; CA 14-7-11 (28233C) ; CA 20-12-07 (22976C).

[2] TA 17-3-03 (15365) ; TA prés. 10-8-06 (21791) ; TA 18-10-06 (21529) ; TA 19-4-07 (21611) ; TA 1-3-04 (16788) ; TA prés. 10-8-06 (21791) ; contra TA 18-5-09 (24850).

[3] TA 26-3-97 (9558); TA 16-2-04 (16832); TA 27-2-12 (27718).

[4] T.A., 16 -12-13,  (31530 )

[5] Ord. présidentielle 11-10-19 (43598).

[6] CA 13-3-14 (33526C); TA 28-9-15 (33162a, c. 25-2-16,37105C); TA 24-2-16  (35540, c. sur ce point le 13-10-16, 37761C).

[7] Voir not. TA 4-6-14 (32568), TA 24-11-14 (33379), TA 18-5-15 (34724, C. 17-12-15 (36487C), TA 7-2-17 (37219).

[8] TA 7-12-09 (25811); TA 19-5-10 (26172, , c. 22-3-11, 27064C); TA 19-5-10 (26179); TA 18-5-15 (34275, c. 17-12-15, 36488C); TA 18-5-15 (34724, c. 17- 12-15, 36487C); TA 7-12-15 (350211 ); TA 14-12- 15 (35242).

 


 



[1] Le texte complet de l’arrêt est disponible sous : https://ja.public.lu/45001-50000/48881C.pdf


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